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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sa faveur, avant même qu’il parlât, et quand il
exprimait son sentiment, encore que celui-ci fût parfois au rebours de la
commune opinion, il vous pénétrait par sa finesse sans vous heurter par sa
nouveauté. En outre, aucun sujet n’était trop petit ou de trop peu de
conséquence pour lui, ce qui donnait à son propos un abandon qui vous le
faisait proche et rassurant.
    Contrefaisant
de la main un soudain assaut contre sa chatte, et celle-ci contrefaisant de la
griffe une contre-attaque, Montaigne dit avec son lent sourire :
    — Je joue
à ma chatte, mais qui sait si elle ne joue pas à moi ? Qui sait si je ne
suis point pour elle tout juste ce qu’elle est pour moi ? Et si elle ne se
divertit de moi plus encore que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons
de nos singeries réciproques. Si j’ai mon heure de commencer ou de refuser,
elle a la sienne aussi.
    Passant alors
au sujet de la chasse, il dit que ses voisins en étaient tous raffolés, mais
que pour lui, encore qu’il donnât à courre, comme son père avant lui, il y
voyait un plaisir violent, et qu’il n’aimait pas entendre gémir un lièvre sous
les dents de ses chiens. Pas plus, ajouta-t-il, qu’il ne pouvait voir égorger
un poulet sans déplaisir.
    — Il faut
bien manger pourtant, dit Samson.
    — Assurément !
dit Montaigne, sur un ton d’aimable gausserie et envisageant mon joli frère
avec sa coutumière bénignité.
    Cependant, sa
chatte – laquelle il appelait Carima –, mécontente qu’il eût
interrompu leur jeu, sauta au sol de dessus ses genoux, et la queue fière, s’en
alla bouder en un coin de la salle où se trouvait un petit tapis qu’incontinent
elle se mit furieusement à griffer comme pour se revancher d’être ainsi
déprisée. Et combien Montaigne, à ce que je vis, n’aimât guère qu’elle
dommageât son bien, cependant il la laissa faire, n’ayant guère appétit, ce me
sembla, à corriger les choses ni les gens, et pas davantage Carima que la gouvernante
de sa fille.
    — Venons-en
à votre affaire, dit-il, son œil se détachant enfin de sa chatte et se fichant
sur moi.
    Je lui dis
tout, et sans rien pimplocher ni omettre, et de mon duel avec Fontenac, et de
l’enquête de M. de la Porte, et de la partialité des juges du Présidial, et de
ma fuite, et de mon intention de requérir la grâce du roi.
    — Ha !
dit-il après m’avoir ouï d’une forte diligente oreille, voilà bien l’esprit de
parti ! Et quel trouble continuel, faussant toute balance, il jette dans
l’État ! Ces juges vous accusent dans les dents de toute flagrante
évidence sur la foi d’un témoin unique comme s’ils ignoraient l’adage du
droit : Testis unus, testis nullus [15] , et comme si ce témoin n’avait
pas par deux fois piteusement varié.
    Ayant dit, il n’ajouta
point, comme je l’eusse attendu, qu’il rédigerait ma requête au roi, ce dont
mon père l’avait prié dans sa lettre. Et encore que je ne laissasse pas d’être
étonné de son silence là-dessus, je ne désespérai pas de sa réponse, pensant
que peut-être avant de me la bailler, il y voulait songer plus outre, car
l’affaire n’allait pas pour lui sans quelque délicatesse, l’amenant à défendre
des huguenots contre les acharnés de son propre parti.
    Une chambrière
étant venue dire que le repas attendait le plaisir du maître, on passa à table,
Montaigne excusant Madame son épouse de n’y point paraître, étant retenue en sa
chambre par une douleur de tête qui lui venait une fois le mois et pour un jour
seulement.
    Ce repas chez
M. de Montaigne présentait d’aucunes singularités assez étonnantes pour
qu’encore à ce jour je me trouve de m’en ramentevoir. Le pain était sans sel et
les viandes, au rebours, fort salées. Le vin arrivait sur la table coupé d’une
moitié d’eau, et se versait non dans des gobelets, comme à Mespech, mais en des
verres, Montaigne voulant que la vue y tâtât avant que de le boire. Il n’y
avait ni cuiller ni fourche, on n’avait que la main, ce qui était fort au
détriment du maître du logis car il y mettait tant de hâtiveté que je le vis
par deux fois mordre ses doigts. Pour la chair et le poisson, on les servait,
comme chez nous le gibier, mortifiés, et jusqu’à la senteur, ce qui me ragoûta
peu, étant accoutumé à Mespech à les manger en leur fraîcheur. On dînait sans
nappe, mais à chaque service, une chambrière vous apportait une serviette
blanche

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