Paris Ma Bonne Ville
et dressés sur des petites
collines, un grand nombre de moulins, tournant vivement au vent et dont je
pensai bien qu’il ne fallait pas qu’ils se désoccupassent, de jour comme de
nuit, un seul instant, s’ils voulaient moudre de la farine assez pour tout le
peuple qu’il y avait en cette grande ville.
Nous
atteignîmes vers le soir le faubourg Saint— Germain lequel me ragoûta peu,
étant pauvre, délaissé et les rues point du tout pavées et les quidams qui le
hantaient, sales, déguenillés et de la plus basse mine, en poussant de mauvaise
grâce devant nos chevaux et nous dardant un œil à nous vouloir occire et
détrousser, s’ils l’avaient pu.
Nous longions
alors les murs de la riche abbaye de Saint-Germain-des-Prés, lesquels étaient
fort hauts, comme si les moines eussent voulu protéger leurs trésors contre la
convoitise des vilains qui pullulaient comme vermine à ses pieds, et qui (je
parle de l’abbaye) me parut comme une ville dans la ville, tant elle avait
serré autour d’elle de beaux et nombreux bâtiments. Pierre de l’Etoile me dit
que de l’autre côté de l’abbaye s’étendait le pré aux clercs, cause d’immenses
chamailleries entre les moines et les écoliers de l’Université qui s’en
disputaient de temps immémoriaux la propriété. N’eût été que le temps nous
pressait, car il était déjà six heures, il eût fait un détour pour nous le
montrer, pour ce que c’était, dit-il, sur ce même pré que les réformés de Paris
avaient pour la première fois chanté les psaumes, signal des affreuses
persécutions qu’ils avaient ensuite endurées.
Pierre de
l’Etoile mit tant de colérique indignation à parler de ces inquisitions que je
crus entendre, quoi qu’il eût dit, qu’il n’était pas sans de secrètes
sympathies pour ceux de notre foi. Pensée qui m’émut fort et m’affectionna
davantage à lui que tout ce qu’il avait pu faire ou dire jusque-là.
Ainsi tout en
devisant, et M. de l’Etoile me montrant les banlieues et faubourgs de sa ville,
dont il avait la plus grande amour, tout en incriminant sans discontinuer
« ses taches et ses verrues » (mais je le compris ensuite, cette
querelleuse amour de leur capitale est le propre des Parisiens), on atteignit
enfin les murailles de la ville qu’à mon immense étonnement je trouvai
médiocres, chétives, quasi croulantes et fort mal remparées.
— Ha !
Monsieur ! dis-je, est-ce là l’enceinte de la plus grande ville du
royaume ? N’est-ce pas pitié de la voir à ce point dégarnie ? Alors
que Carcassonne est si forte en ses superbes défenses ? Et Montpellier
elle-même si bien défendue par la commune clôture ?
— Vertu
Dieu, Monsieur de Siorac, dit Pierre de l’Etoile, se courrouçant derechef, vous
avez davantage raison qu’encore vous ne cuidez. Car cette portion-ci du mur que
vous envisagez et qui court entre la porte de Buccy et la porte de
Saint-Germain n’est des pires, si méchante qu’elle soit. Que si vous
connaissiez le mur dans le piteux état qu’on le voit dans le faubourg
Saint-Marceau, vous en rougiriez comme je fais pour l’honneur du royaume.
Rabelais disait de cette partie-là qu’elle était si faible qu’une vache avec un
pet en abattrait plus de six brasses ! Et croyez-vous qu’on ait depuis la
mort du divin Rabelais rhabillé cette imbécile chétivité ? Nenni !
Nous dépensons plus pour la parure et l’attifure de nos Princes que pour la sécurité
de leur capitale !
Nous passâmes
le pont-levis de la porte de Buccy dans une grande presse de charrois, non sans
montrer aux archers les sauf-conduits que nous avait délivrés Cossolat en
Montpellier avant notre département de cette ville, car nous eussions été fort
en peine de leur en montrer de Sarlat, M. de la Porte qui eût pu nous les
bailler étant censé nous poursuivre et nous serrer en geôle.
De reste, le
sergent des archers les envisagea à peine, tant sans doute il était lassé du
flux de ces bonnes gens qui passaient devant lui en se pressant comme fols,
tant ils avaient hâte d’être au-dedans de la ville, avant que les portes ne
fermassent pour la nuit.
Ha !
lecteur, que je fus donc déçu ! Car encore que la rue que nous prîmes
après la porte de Buccy fût droite assez, les maisons qui la bordaient étaient
si hautes et si mal alignées, le pavé si encombré de gravois, d’immondices et
d’eau sale et l’air, pour tout dire, si puant et pesant que je pensai
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