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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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courroux ne s’apaisant pas, il rendit incontinent une ordonnance commandant
de raser dans le mois, rue de la Ferronnerie, tout ce qui dépassait. Or que
voyons-nous, Monsieur de Siorac ? Les choses sont dix-huit ans plus tard
en même état qu’elles étaient ce jour-là rue de la Ferronnerie.
    — Mais,
Monsieur de l’Etoile, dis-je béant, n’est-ce pas émerveillable : Tous les
huguenots du royaume tremblaient au seul nom d’Henri II, et Paris ne lui
obéissait pas !
    — Ha, je
vous l’ai dit déjà ! s’écria l’Etoile, Paris est une rebelle et une
maillotinière qui ne souffre ni frein ni loi ! Elle se prend pour le Roi
même et n’appète que son bon plaisir, ne se plaisant qu’au désordre, aux
tumultes et aux fornications ! Pour qu’elle fléchisse le genou, fût-ce
devant le Roi, il faudrait lui tordre un par un ses trois cent mille
cous !
    — À Dieu
ne plaise ! criai-je en riant. Je ne voudrais pas d’une Paris
dépeuplée !
    Car je riais
alors, innocent du futur :
     
    Prudens
futuri temporis exitum
    Caliginosa
nocte premit Deus [21] .
     
      et les
encombrements de Paris où je voyais le bon l’Etoile grincer des dents
semblaient plutôt matière à gausserie à ma jeune et rieuse complexion.
Ha ! lecteur ! J’écris en mon vieil âge ce conte que voilà, et tandis
que je trace ces lignes, trente-huit ans, je dis bien, trente-huit ans après
mon arrivée en Paris, le nœud de ma gorge se noue et à peu que les larmes ne me
jaillissent de l’œil pour ce que voici deux mois, en cette même rue de la
Ferronnerie, que le déprisement des ordonnances a laissée étroite et tortueuse,
le carrosse royal étant arrêté, tant par l’empiétement des boutiques que par
l’embarras des charrois, un assassin, armé par le zèle des prêtres, perça d’un
couteau impie le noble cœur d’Henri IV. Ha ! coup méchant !
Ha ! malfortune ! Deuil immense ! Et dont je ne vois pas que la
France puisse se conforter jamais !
     
     
    Il fallut que
Pierre de l’Etoile, ayant mis pied à terre, frappât à l’huis à coups redoublés,
et criât son nom, pour qu’un demi-œil apparût derrière le croisillon de fer du
judas, et que la porte s’entrebâillât pour laisser passer et l’Etoile et
moi-même, mais pas un de plus, Maître Recroche et son commis Baragran, tous
deux armés, claquant la porte au nez de mes compagnons et incontinent remettant
les chaînes, les barres et les verrous, dès que nous fûmes passés.
    — Maître
Recroche, dit l’Etoile, je vous saurais grand gré si vous pouviez loger chez
vous trois gentilshommes de mes amis, leur valet et leurs montures. M. de
Siorac est docteur médecin et fils cadet d’un Baron en Périgord.
    À quoi Maître
Recroche, hochant la tête, ne répondit goutte ni miette. C’était un homme qui
tirait plutôt vers le nabot, le poil terne, poussiéreux et grison, la peau de
la face malsaine, blanche et boutonneuse, vêtu d’un pourpoint verdâtre reprisé,
ne portant pas fraise mais un col rabattu point trop propre, et qui me parut
tenir de l’araignée par la longueur de ses bras, (petit pourtant qu’il était)
et du vautour par la courbure de son bec. Commandant à son commis Baragran de
tenir haut la chandelle, il m’envisageait sans piper, mais d’un petit œil bleu
fort aigu et brillant, comme s’il nous pesait, mon escarcelle et moi, à l’once
près.
    — Maître
Recroche, m’avez-vous ouï ? dit l’Etoile.
    — Fort
bien, Monsieur le grand Audiencier, dit Recroche. Mais baba ! (et ce que
voulait dire ce « baba » qu’il mettait à toutes sauces, je ne sais et
je me demande s’il le savait lui-même, ayant l’extravagance de façonner des
mots de son cru, et d’en employer dix où un seul eût suffi, se confortant
peut-être de sa chicheté par sa verbale superfluité). Baba, Monsieur le grand
Audiencier, je ne baille pas à loger, ce n’est point mon état.
    — Certes !
Certes ! dit l’Etoile avec plus d’aménité que je n’eusse attendu de son
atrabilaire humeur. Mais cependant, vous avez des chambres.
    — Baba,
des chambres ! Des chambrettes ! Des chambrillons ! Des
chambriscules ! Rien qui peuve accommoder ce galant gentilhomme !
    Ici il voulut
bien, courbant le col et balayant le sol de son long bras, me faire une sorte
de salut, et que celui-ci fût fait plutôt par irrision que par civilité, je le
crois, car l’Etoile, qui connaissait l’homme, sourcilla fort, mais quant

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