Paris Ma Bonne Ville
s’en promettant un mutuel secret, n’y ayant
de quartier ni pour l’un ni pour l’autre, s’ils étaient découverts.
— Aymotin,
dis-je, voilà qui va bien. Je vous entends. Mais je vous prie de ne point
oublier, pour une fois, un nom et une adresse, et de les confier au médecin que
j’ai dit, si la fortune voulait que vous rencontriez. Je m’appelle Pierre de
Siorac et je loge rue de la Ferronnerie chez le Maître bonnetier Recroche.
Voici les cinq sols pour le sacré chapitre. Et voici cinq sols pour vous.
— Monsieur,
dit Aymotin, me rendant tout soudain trois piécettes, de sols, je n’en ai que
deux. Et pour ce que vous avez dit, cela ne demande pas de salaire. Je le
ferai, si je peux. J’aime obliger les bonnes, honnêtes et charitables gens.
Et là-dessus,
m’envisageant comme la moinette son moineau, et secouant de dextre à senestre
ses boucles noires, il poussa un si profond soupir et me jeta une si dépiteuse
œillade que je l’eusse, je gage, accommodé, si seulement il avait été de ce
tendre sexe à quoi il appétait si fort d’appartenir. Or, trouvant dans ce
pensement un certain embarras, je me penchai par-dessus les balustres pour
jeter un œil à la place où la petitesse des gens, vus de si haut, m’avait de
prime diverti. Et reconnaissant Pompée à sa robe alezane, je fus sans voix de
voir qu’elle était le centre d’un grand tumulte, quatre ou cinq gueux essayant
de l’enlever de force forcée à Miroul, lequel faisait vaillamment feu des
poings et des pieds contre les assaillants, et ne pouvait faillir, à la longue,
d’être vaincu par le nombre.
— Sanguienne,
Aymotin ! criai-je, on me veut prendre ma jument ! Et tout courant,
je dévalai comme fol les degrés de la tour, passai l’huis, franchis portail et
parvis et dégainant, tombai comme foudre sur ces larrons, poussant des cris
étranges et leur donnant de furieuses platissades, mais toutefois sans les
percer, sauf un qui, tirant un cotel de ses haillons, m’en voulut larder, ce
dont je le punis, en le daguant au bras. Sur quoi, lâchant son arme, il
s’ensauva à vives gambes, criant qu’il était mort, et les autres à sa suite,
disparaissant dans les ruelles circonvoisines, comme cafards en leurs trous.
— Miroul !
criai-je, resté maître du terrain, tu saignes ! Es-tu navré ?
— C’est
meurtrerie de poing ! dit Miroul, et rien d’autre ! Ha !
Monsieur, votre joli pourpoint ! Vous ne pouvez, comme vous voilà fait,
visiter M. de Nançay ! Il vous faut d’abord recoudre.
Hélas, il
disait vrai ! Mon pourpoint de satin bleu, lequel ayant été façonné par le
tailleur marrane Martinez, avant mon département de Montpellier, était fort
neuf et j’ose le dire fort seyant et fort beau, et lecteur, je te prie
là-dessus de m’en croire, encore que tu aies ouï comme moi, rue des Sablons,
cette frivole drôlette le dépriser pour ce qu’il n’était point « à la mode
qui trotte » en Paris, ce pourpoint, dis-je, dont tant je me paonnais en
ma tant vaine gloire, avait sur deux pouces de longueur et qui pis est, sur le
devant, un déchirement qui, à l’envisager plus outre, me serra le nœud de la
gorge et me mit presque la larme au bord des cils. Vertu Dieu ! Quel
étrange animal que l’homme ! Alors que j’eusse dû remercier la Providence
à deux genoux de m’avoir sauvé la vie en cette encontre, la lame du larron étant
passée si près de mon cœur, j’en étais à me lamenter du gâtement de ma
vêture !
— Monsieur,
dit un quidam qui, avec trois bonnes douzaines de guillaumes et gautiers, avait
sur le pavé de la place envisagé, le bec bée, l’attentement de la larronnie
sans branler bras ni gambes, ni même crier au guet, Monsieur, il est de fait
que vous voilà bien déchiré !
— Et à
qui la faute, criai-je, me courrouçant tout soudain, sinon ceux qui, ayant vu
des truands à l’œuvre, n’ont point bougé l’auriculaire pour secourir mon
valet ?
— Ha !
Monsieur ! cria le gautier, prendre un mauvais coup ! Et en une
affaire de rue ! Je n’aurais garde, certes, si fort que je plaigne
pourtant de présent la perte de votre pourpoint !
— Et qui
te dit qu’il est perdu ! hurlai-je contre toute raison.
— Il est
de fait qu’il est tout gâté, dit un autre, et que je ne vois pas bien ce que la
plus fine aiguille pourrait y faire.
— Monsieur,
dit un autre, portez-le à la friperie. Les juifs vous l’achèteront. C’est
Weitere Kostenlose Bücher