Paris vaut bien une messe
huguenots.
Dans le traité de paix de Saint-Germain le roi leur avait promis qu’aucun
monument évoquant les guerres passées entre protestants et catholiques ne
devrait rester en place. Or cette croix rappelait que trois huguenots, Philippe
Gastine et son fils Richard ainsi que son gendre Nicolas Croquet, avaient été
condamnés à mort et étranglés en place de Grève le 1 er juillet
1560. Coligny et les huguenots exigeaient que cette croix fut abattue, ce qui
serait un gage de paix conforme à la promesse du roi.
La foule autour de moi s’indignait : cette croix avait
été élevée pour célébrer la victoire de Dieu et de Son Église catholique sur le
Mal. L’abattre revenait à accepter que le Démon l’emporte, que la condamnation
des hérétiques soit effacée.
Et un capucin juché sur une borne a récité :
L’air demande
à les étouffer
La terre à
les réduire en cendres
Le feu à les
ardre et chauffer
……………………………………………
Ceux qui
répandront leur sang
Pour cette
cause juste et bonne
Sont assurés
que Dieu leur donne
Plein pardon de
tous leurs péchés
Et si nous
pardonnons au moindre
Dieu nous
exterminera tous…
Je me suis éloigné.
Je savais qu’Enguerrand de Mons logeait rue des Poulies, sur
la rive droite de la Seine, non loin de l’hôtel de Bourbon. Quant à Diego de
Sarmiento que, je l’avais appris à Pise, Philippe II venait de désigner
pour le représenter auprès du roi de France, lui aussi habitait dans le
quartier du Louvre, rue Saint-Honoré.
J’ai traversé la Seine, croisant sur le pont au Change un
cortège d’hommes et de femmes qui chantaient : La Croix de Gastine est
notre Croix / Qui touche à la Croix est sacrilège / Qui renverse la Croix est
damné / La Croix de Gastine est notre Croix…
Était-ce cela, la paix entre protestants et
catholiques ?
Je n’avais rencontré tout au long de ma route que suspicion,
haine, désir de mort et de guerre.
J’avais eu le sentiment que le Christ était un corps livré à
la folie des hommes qui prétendaient l’aimer et se le disputaient comme des
chacals une proie, chacune des meutes arrachant un lambeau de chair, écartelant
ainsi le Dieu dont elles se réclamaient.
Presque à chaque pas j’ai pensé au visage du christ aux yeux
clos que j’avais enfoui au côté de la dépouille de Michele Spriano.
J’ai compris, Seigneur, Ta tristesse et peut-être même Ton
désespoir !
Et alors que j’avais le dessein de venger Michele Spriano,
que j’étais décidé à brandir le glaive contre ces hérétiques qui l’avaient tué,
contre mon propre frère qui les avait stipendiés, armés, j’en venais à me
demander, accablé, si être fidèle au Christ ce n’était pas d’abord chercher à
unir tous ceux qui croyaient en lui et à conquérir les âmes qui ignoraient son
enseignement, qu’il s’agisse d’infidèles ou de païens.
Mais tel n’était pas le but des humains sur cette terre.
À chaque fois que j’entrais dans un village ou une ville, je
commençais par me demander au nom de quelle religion du Christ on allait me
tuer.
M’égorgerait-on en célébrant le pape ? Me brûlerait-on
en invoquant Calvin ?
Dans toute la région de Nîmes que j’avais parcourue sous un
ciel aussi étincelant qu’une lame d’acier, les statues des saints et de la
Vierge Marie gisaient, mutilées, fracassées, devant les églises dont les
tympans sculptés avaient été brisés à coups de masse.
Parfois les clochers eux-mêmes avaient été renversés et
gravats et poutres s’amoncelaient au milieu de la pauvre nef saccagée.
On m’entourait. On me menaçait.
Les hommes étaient tout en noir, la dague ou l’épée au côté,
l’arquebuse à l’épaule, une large fraise empesée accentuant la sévérité de
leurs traits.
Souvent en coiffe blanche, les femmes portaient des robes
sombres au col boutonné jusqu’au menton.
Un bonnet plat et noir cachant ses cheveux, une longue
tunique masquant son corps, le pasteur m’interrogeait.
Comme je l’avais déjà fait des années auparavant, je me
servais de mon nom comme d’un bouclier. J’étais Bernard de Thorenc, le frère de
Guillaume, l’un des proches de l’amiral de Coligny, et le fils de Louis, mort à
Saint-Quentin en résistant aux Espagnols.
On se déridait. On me racontait comment on avait mis en
déroute les papistes, saccagé les églises, tué moines et religieuses, ces
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