Paris vaut bien une messe
mon cœur
Jésus soit le vainqueur » ?
Ou bien le Mal s’était-il emparé aussi de cette foule qui
hurlait sa haine, qui se précipitait pour démembrer Ravaillac, et qui se ruait
sur un jeune homme qui avait osé murmurer : « Mon Dieu, quelle
cruauté ! » ?
Car on a brisé les membres de Ravaillac, on a tenaillé ses
chairs avec une pince rougie au feu. Le bourreau et ses aides ont versé dans
ses plaies de la poix brûlante, du plomb fondu, de la cire et du soufre, de
l’huile bouillante. On a brûlé sa main après l’avoir percée à coups de lame. On
lui a fait boire du vin pour qu’il survive dans la souffrance, jusqu’à ce que
ses bras et ses jambes, son torse soient disloqués, dénoués, arrachés par
quatre chevaux.
Des hommes s’attelèrent aussi pour que les cuisses et les
épaules soient emportées.
Le peuple hurlait, s’élançait vers l’échafaud, se disputait
les morceaux.
« Et l’on vit une femme qui, d’une vengeance étrange,
planta les ongles puis les dents en cette parricide chair. »
Et les misérables reliques sanglantes furent traînées par
toute la ville.
« À la fin, ayant été divisé en quasi autant de pièces
qu’il y a de rues dans Paris, on en fit plusieurs feux en divers lieux. Et l’on
voyait des petits enfants, par les rues, portant la paille et le bois. »
De ce spectacle et de ces acteurs, qu’eût pensé Bernard de
Thorenc qu’il n’eût déjà écrit ?
C’est moi qui m’interroge en contemplant la tête du christ
aux yeux clos.
J’ai appris ce matin qu’au Soudan, et conformément à la loi
musulmane, un voleur va subir une amputation croisée : on tranchera son
poing droit et son pied gauche.
J’entends chaque jour qu’un homme s’est tué pour tuer
d’autres hommes. Et, pour venger son acte terroriste, on détruit la maison des
siens, on traque et on tue ses complices. Ou bien on l’honore comme un saint
martyr.
Et je me souviens de ce vers d’Agrippa d’Aubigné qui m’était
revenu en mémoire lorsque j’avais rencontré pour la première fois, au n° 7
de la rue de l’Arbre-Sec, Maria de Ségovie :
Les enfants
de ce siècle ont Satan pour nourrice.
Le nôtre qui commence, celui d’hier, qui vient à peine de
s’achever, ne sont-ils pas semblables à celui d’Agrippa d’Aubigné et de Bernard
de Thorenc ?
J’imagine Thorenc agenouillé dans la chapelle, regardant le
visage du christ aux yeux clos comme je le fais aujourd’hui.
Peut-être savait-il ce que j’ai appris en consultant le
recueil des dépêches des ambassadeurs de Venise dont je me suis souvent servi
pour éclairer le manuscrit de Bernard de Thorenc.
Vico Montanari a alors regagné Venise et c’est Leonello
Terraccini qui représente, en 1610, la Sérénissime à Paris.
Il écrit, en date du 5 juin 1610 :
« Je me suis trouvé ces jours-ci par deux fois avec le
premier président du parlement de Paris et l’avocat du roi. J’ai découvert
qu’ils tiennent pour certain que Ravaillac a été persuadé de longue main à une
aussi néfaste scélératesse sous prétexte de religion, qu’il a dit avoir une
étroite relation d’amitié avec un religieux ; qu’il mourrait mille fois
avant de le nommer. Il dit aussi avoir été confessé quelquefois par un jésuite,
à Bruxelles. Et l’on sait que l’on craignait beaucoup, dans la capitale des
Pays-Bas, parmi les Espagnols et les catholiques zélés rassemblés autour du
légat du pape, l’entrée en guerre du roi de France contre l’Espagne et
l’invasion des Pays-Bas par les armées françaises alliées des troupes
huguenotes des Provinces-Unies.
« Certains des proches conseillers du roi défunt assurent
qu’un complot a été ourdi par les Espagnols et le pape pour empêcher
Henri IV d’attaquer les puissances catholiques et de servir ainsi la cause
de l’hérésie dont on l’accusait d’être resté en secret le défenseur.
« Les jésuites auraient été l’instrument de ce complot.
« Ils ont réfuté cette calomnie. »
Après de nombreuses démarches, j’ai réussi à consulter les
archives de l’ordre des Jésuites pour la province des Pays-Bas espagnols.
Parmi la liste des membres de l’ordre pour cette province,
j’ai découvert celui d’un jeune père, arrivé à Bruxelles en 1609.
Faut-il que j’écrive ce nom : Jean de Thorenc, que j’y
ai lu ?
Chacun l’a déjà pensé.
En chaque siècle, en chaque partie du monde,
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