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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Titel: Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mathias Enard
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comprends vos besoins ; sache qu'ici ma mauvaise chambre me coûte une fortune et que je n'ai encore rien touché sur les sommes promises. Comme je te le disais, je t'enjoins de t'en remettre au compte de Santa Maria Maggiore si Giovan Simone devait encore insister.  
    Priez Dieu que tout aille pour le mieux. Rien de plus.
     
    Ton Michelagnolo  

 
     
     
     
     
    Le 27 mai, Ali Pacha le grand vizir fait appeler Michel-Ange auprès de lui par l'intermédiaire de Mesihi. Il souhaite s'enquérir de l'avancée des travaux. Le poète est un peu nerveux en transmettant cette requête au Florentin ; il a senti de l'impatience dans l'ordre du vizir, impatience qui provient sans doute du sultan lui-même.
    Bayazid s'inquiète pour son pont.
    Le cérémonial est moins impressionnant que lors de leur première rencontre. Ali Pacha reçoit le sculpteur après le divan ; il a dû patienter longtemps, assis à l'ombre d'un arbre, en compagnie de Mesihi le fonctionnaire qui avait du mal à cacher son trouble et marchait de long en large comme le singe dans sa cage.
    Falachi est venu chercher Michel-Ange et son accompagnateur pour les introduire devant le substitut de l'ombre de Dieu sur terre. Le Génois est moins avenant qu'à l'accoutumée et Michel-Ange commence à ressentir cette tension qui agite déjà son compagnon.
    Assis sur une estrade, entouré de ministres et de serviteurs, Ali Pacha fait signe à Mesihi d'approcher. Michel-Ange reste respectueusement en arrière.
    Le dialogue est bref, le vizir prononce à peine deux phrases auxquelles son protégé répond par un mot.
    Puis c'est au tour du Florentin.
    Cette fois-ci le vizir parle turc. Falachi traduit.
    — Le sultan est impatient de découvrir tes études, maître. Et nous aussi.
    — Ce sera très bientôt possible, seigneur. Dans dix jours tout au plus.
    — On nous a appris que tu n'as pas utilisé les ingénieurs et dessinateurs dont tu disposes, et que tu ne fréquentes pas l'atelier que nous t'avons ouvert. Pourquoi ? N'est-il pas à ton goût ?
    — Si seigneur, bien sûr. C'est seulement trop tôt. Dès que j'aurai différents croquis, je ferai réaliser les maquettes et exécuter les plans.
    — C'est bien. Nous attendons donc tes résultats. Retourne à ton ouvrage, et que Dieu te garde.
    Michel-Ange sent que cette phrase signifie son congé ; il s'incline respectueusement et Falachi le prend par le bras pour le reconduire. Debout, ils attendent quelques secondes qu'Ali Pacha adresse une dernière recommandation à Mesihi, un conseil qui fait sourire le page ; si Michel-Ange avait entendu le Turc, il aurait compris que le vizir espérait que son protégé n'avait pas converti l'architecte invité du sultan à ses mœurs de débauché, et que le retard dans ses travaux n'était pas dû à une fréquentation trop assidue de la taverne.
    Au sortir de l'entretien, une fois franchie la porte du divan pour retrouver la cour, Michel-Ange est de méchante humeur.
     Sous tous les cieux il faut donc s'humilier devant les puissants.
    Pas d'argent neuf.
    Pas de nouvelle bourse d'aspres pour ses frais. Pas un sou de ce qui était prévu dans le contrat. Faut-il croire que la richesse et le faste appellent l'avarice ?
    Dans le sabir qu'ils ont élaboré au fil de leurs rencontres, Michelangelo s'en ouvre à Mesihi, un peu vexé par la remarque de l'artiste. Non, Ali Pacha et Bayazid ne sont ni avaricieux, ni ingrats. Que le sculpteur montre un seul dessin, et il sera couvert d'or.
    Il pourrait même être reçu par le sultan en personne, privilège très rare pour un étranger.  
    Sur la place où se dresse l'entrée monumentale du nouveau palais, il y a un grand rassemblement et des tambours ; un héraut crie ; une troupe de janissaires écartent la foule.  
    — C'est une exécution, maestro. Passons notre chemin.  
    Mais Michel-Ange veut voir. Lui qui a appris l'anatomie en disséquant des cadavres pourrissant dans les morgues de Florence, qui a vu mourir Savonarole sur le bûcher, il n'est effrayé ni par le sang, ni par la violence faite aux corps. Il s'approche, suivi avec réluctance par Mesihi.
    — Ce n'est pas un spectacle pour toi, maître. Partons.
    Michel-Ange insiste. Il se plante dans le public, aux premières loges.
    On traîne le condamné livide par ses liens ; on l'agenouille avec douceur. L'homme se laisse faire, on le dirait déjà ailleurs ; il courbe de lui-même l'échine en présentant la nuque.
    Le bourreau s'approche, la lame de son

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