Peines, tortures et supplices
sang, l'imagination de tout un peuple. Du reste, il suffit d'avoir assisté une fois à une exécution pour être édifié sur la valeur de l'exemple.»
«La foule se presse, se bouscule, se bat presque pour arriver au premier rang. C'est un spectacle: on est venu épier le dernier regard du condamné; on est venu écouter ce qu'il dira sur les marches de l'échafaud, et on ne veut rien perdre du drame qui va se dérouler.
«En attendant, cette foule généreuse rit, chante et fait des mots.
«J'ai entendu un homme dire à son camarade:
«—Il a plus d'chance que nous, c'gueux-là, il va déjeuner avec le bon Dieu.
«Un autre disait à sa femme:
«—Est-ce qu'ils n'vont pas s'dépêcher un peu?
«Et la sensible et poétique créature murmurait dans son impatience:
«—Pourvu que l'petit n'aille pas s'éveiller!
«Le moment fatal approche, la foule est attentive, anxieuse, exactement comme elle l'est au théâtre, quand le traître va assassiner la jeune première. Mais recueillie? Allons donc! Elle se tait, c'est vrai, mais c'est pour mieux écouter ses propres impressions. Le condamné arrive, on le hisse sur la plate-forme de la guillotine, puis, en présence de la mort, il embrasse le prêtre qui le soutient, il embrasse le crucifix qu'on lui présente, et pensant que dix mille personnes l'observent, ce malheureux, malgré sa confession faite et l'absolution reçue, se parjure, en s'écriant:
«—Je meurs innocent.
«La foule s'éloigne bruyante, et le gamin retourne à son atelier faire le récit d'un spectacle qui lui sert souvent de prétexte à des plaisanteries de mauvais goût dans le genre de celle-ci:
«—Il a tout d'même eu un rude trac, au moment d'laisser tomber sa tourte.
«Dans tout cela, je ne vois pas que l'exemple soit salutaire et moralisateur.
«Un criminel doit mourir, n'est-ce pas? Eh bien! la science a aujourd'hui, pour tuer un homme, des moyens aussi infaillible et surtout moins sanguinaires que celui du docteur Guillotin.
«Je me demande pourquoi le mode d'exécution par l'électricité ne serait pas adopté?
«L'étincelle électrique peut foudroyer instantanément. J'y vois de nombreux avantages et pas un seul inconvénient. D'abord, il n'y a pas de sang répandu. On ne voit pas le hideux couteau s'abattre sur une tête humaine; il n'y a qu'un agent mystérieux, qui frappe comme frapperait le doigt de Dieu. D'un autre côté cette mort prompte ne laisse plus de place à ce doute horrible qui divise encore les physiologistes: le doute de savoir si la douleur et l'intelligence ne subsistent pas quelques instants encore après la décollation.
«Ce serait un progrès de plus que ce foudroiement judiciaire eût lieu à huis clos, sauf à prendre les précautions de constatation d'identité que j'indiquerai tout à l'heure.
«De cette façon, on enlèverait au condamné ces occasions de forfanterie qui entrent pour une part considérable dans son mépris de la mort; mépris qui, en amoindrissant la pitié du public, laisse une part trop grande à son admiration.
«J'ai la conviction que ça n'est certes pas là le dernier sentiment que le législateur s'est proposé de faire connaître dans l'esprit de la foule qui assiste à une exécution.
«Avec l'électricité, rien de tout cela n'est plus possible.
«Le criminel, prévenu dans la journée qu'il disparaîtra de la société au soleil couchant, peut se recueillir et se préparer à la mort. Plus de forfanterie! Il sera seul avec lui-même pour songer au passé dont il lui sera demandé compte dans l'éternité.
«Il n'aura plus cette surexcitation nerveuse que donne la vue du public. Personne ne l'entendra, les murs de sa prison seront muets, et il saura que le lendemain de sa mort les journaux, au lieu du récit circonstancié de ses moindres actions, ne renfermeront plus que cette mention succincte: Le coupable a payé sa dette à la justice des hommes! S'il lui reste encore quelques bons instincts, ils se réveilleront. Ils ne seront plus étouffés par ce sentiment de révolte qui doit pousser le criminel le moins endurci à braver cette société qui, à ses yeux, abuse de sa force, de son droit, en se réunissant tout entière pour accabler un seul homme.
«Il aura toutes les faiblesses humaines; il osera pleurer, ses larmes seront sincères; elles auront leur source dans le repentir, et elles éviteront à ce malheureux le parjure de la dernière seconde.
«Si l'on veut à toute force faire de l'apprêt,
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