Perceval Le Gallois
long périple initiatique et que c’est seulement après bien des épreuves qu’il sera admis en présence du Graal ? D’ailleurs, au début de ses aventures, il est bel et bien un apprenti , et en tant que tel, il n’a le droit ni d’intervenir dans le débat ni de poser des questions : ainsi s’explique et se justifie son mutisme lorsqu’il assiste au Cortège du Graal . Il ne doit ni ne peut encore intervenir. Cette idée est curieusement corroborée par un détail que seul donne Wolfram von Eschenbach : Parzival est en effet le fils d’un certain Gahmuret qui est prince d’Anjou . On en a déduit que Wolfram avait eu les rois angevins Plantagenêt parmi ses protecteurs. Il n’en est rien, et Wolfram semble ici livrer une information sous forme de jeu de mots : en effet, le mot allemand que l’on interprète généralement par Anjou, anschaue dans le texte, provient du verbe anschauen qui signifie « fixer du regard ». Si l’on comprend bien, Parzival, qui est lui aussi d’Anjou, n’a pas le droit de parler, et seulement le droit de regarder. En son état d’apprenti, il est seulement le regardant . Tout l’aspect initiatique du récit apparaît alors avec une clarté remarquable (10) .
Quoi qu’il en soit, le récit des errances et des aventures de Perceval est riche d’épisodes symboliques en tout genre et que l’on peut interpréter sur les plans les plus divers. Indépendamment des versions retenues, ce récit constitue certainement l’une des plus belles œuvres littéraires de l’humanité. Le mystérieux Cortège du Graal n’a pas fini de résonner dans nos mémoires, et l’image poétique, typiquement celtique, grâce à laquelle Perceval évoque la femme qu’il aime, la chevelure noire comme le corbeau, le visage blanc comme la neige et les pommettes rouges comme le sang, n’a pas fini d’étonner et de ravir. Le Château du Graal recèle bien des ombres, et rares sont ceux qui pourront entrevoir dans les ténèbres la fulgurante lumière qui fait éclater l’imaginaire en multiples pluies d’étoiles.
Perceval sera-t-il le Bon Chevalier ?
Il lui reste encore une longue route à parcourir – aussi longue et aussi pénible que celle de Lancelot du Lac et de Gauvain mais d’autant plus longue dans son cas qu’il ne sait rien de ce qu’il cherche, lui.
Là est peut-être le nœud de la quête : quand on cherche, on ne trouve pas, mais quand on ne cherche pas, on peut trouver l’inattendu, le subtil, l’ineffable. Au risque de se perdre.
Poul Fetan, 1995.
AVERTISSEMENT
Les chapitres qui suivent ne sont pas des traductions, ni même des adaptations des textes médiévaux, mais une ré-écriture , dans un style contemporain, d’épisodes relatifs à la grande épopée arthurienne, telle qu’elle apparaît dans les manuscrits du XI e au XV e siècle. Ces épisodes appartiennent aussi bien aux versions les plus connues qu’à des textes demeurés trop souvent dans l’ombre. Ils ont été choisis délibérément en fonction de leur intérêt dans le déroulement général du schéma épique qui se dessine à travers la plupart des récits dits de la Table Ronde, et par souci d’honnêteté, pour chacun des épisodes, référence précise sera faite aux œuvres dont ils sont inspirés, de façon que le lecteur puisse, s’il le désire, compléter son information sur les originaux. Une œuvre d’art est éternelle et un auteur n’en est que le dépositaire temporaire.
1
L’Enfant des Forêts
Au temps où le roi Arthur régnait sur l’île de Bretagne, une noble comtesse vivait à l’écart du monde, dans la Gaste Forêt, quelque part dans le nord du pays de Galles, non loin de la montagne du Snowdon. On l’appelait la Veuve Dame, mais on savait qu’elle était née dans une grande famille, et que son défunt mari, le comte Evrawc, avait été l’un des plus fidèles compagnons du roi Uther Pendragon dans sa lutte contre les Saxons. Cependant, la terre du comte Evrawc étant trop pauvre pour les nourrir, lui, sa femme et ses trois fils, il lui fallait gagner sa vie dans les tournois, les guerres et les combats ; et comme il advient souvent à qui recherche les aventures, il fut blessé grièvement et succomba après avoir appris la mort de ses deux fils aînés. Le troisième de ses fils était encore un enfant. Sa mère l’élevait avec beaucoup de tendresse. La Veuve Dame était une femme avisée et intelligente : après avoir longuement
Weitere Kostenlose Bücher