Perceval Le Gallois
reptilien ». Projeté sur un plan mythologique et métaphysique, cet élément résume la situation de l’Adam primordial qui n’acquiert sa véritable humanité qu’en goûtant au fruit de l’Arbre de la Connaissance. Ce faisant, il transgresse un interdit. Le héros du conte du Graal, confiné dans sa forêt maternelle et élevé à l’écart de la civilisation, transgresse allégrement cet interdit – non sans crainte d’ailleurs – en apprenant des chevaliers qui passent les rudiments de la vie sociale. Dès lors, il n’aura de cesse de partir, mais son apparente volonté n’est en fait que l’impossibilité dans laquelle il se trouve de demeurer en l’état primitif : cette impossibilité est l’équivalent de la malédiction frappant Adam et Ève, à savoir leur élimination du Jardin d’Éden.
Il s’agit donc d’une naissance. Mais le héros n’a pas entièrement coupé le cordon ombilical : il participe encore au monde précédent, celui de la bête. Qu’il soit Tyolet, Peredur ou Perceval, le jeune homme est maître des animaux sauvages puisque à l’aide de son sifflet, ou simplement grâce à son habileté, il est capable d’appeler à lui les animaux, prérogative traditionnellement attribuée à Merlin… Or, ce dernier, sous ses aspects d’Homme Sauvage, d’Homme des Bois, ou sous celui du rustre célébré par les épopées irlandaises, est l’incarnation parfaite du druide-chaman originel, célébrant d’étranges rituels au cœur de la forêt dans le nemeton , clairière au centre de laquelle se dresse symboliquement l’ Axis Mundi , l’arbre cosmique : n’est-ce pas dans ses branches que Merlin, fils du diable, se jucha pour prophétiser ? Et « Tyolet », transcription française du moyen-breton diaoulet ne signifie-t-il pas littéralement « endiablé » ? Curieuse coïncidence, si toutefois c’en est une…
Perceval ne serait-il pas le fils, c’est-à-dire l’image, de l’Enchanteur disparu après avoir prédit que surgirait un « Bon Chevalier » qui mettrait un terme aux aventures du Graal ? On verra qu’au cours de ses errances, il rencontrera de mystérieux rustres et d’étranges enfants doués de sagesse qui ressembleront fort à Merlin. De toute façon, il y a continuité entre le personnage de l’Enchanteur et celui du Découvreur qu’est Perceval-Peredur.
Cependant, cette naissance concerne le nouvel être. Perceval possède déjà son existence matérielle. Lorsqu’il quitte le domaine maternel, c’est en franchissant un pont, image éminemment symbolique, qu’il coupe définitivement le cordon ombilical. Et, alors qu’il se retourne à peine pour regarder une dernière fois sa mère, celle-ci meurt brutalement, de douleur, nous dit-on, mais en fait d’ inutilité : elle a accompli son destin qui était de mettre au monde le Fils, ce Fils auquel il appartient de tenter la quête, au risque de se perdre dans les sentiers tumultueux du monde des hommes.
Des hommes, certes, et de leur impitoyable violence, mais aussi des femmes. À peine brisée l’image de la Mère, voici qu’apparaît celle de l’Amante-Maîtresse, à qui revient le devoir de rendre adulte l’adolescent. L’initiation a lieu sous une tente que le héros prend pour une église, donc pour un endroit sacré, un lieu où s’accomplissent des rituels dont il ne comprend pas la portée. Il y dérobe à une jeune femme un baiser, un pâté et un anneau. Désormais parvenu à son état viril (9) , il peut se lancer hardiment dans les aventures, car, dans tout récit épique qui se respecte, sexualité et valeur guerrière sont inséparables.
Un autre élément peut prêter à maints commentaires : dans tous les textes, mais particulièrement chez Chrétien de Troyes, Perceval – dont on ignore le nom jusqu’à son premier passage à la cour d’Arthur – est appelé le Fils de la Veuve Dame , ce qui correspond à une réalité absolue. Mais il est difficile de ne pas songer à l’expression « Fils de la Veuve » qui désigne les membres de la franc-maçonnerie. Certes, aux environs de l’an 1200, celle-ci n’existait pas, du moins sous sa forme actuelle, et il serait ridicule de prétendre que le Conte du Graal est une œuvre maçonnique au même titre que La Flûte enchantée . Il est toutefois évident que les commentateurs maçons ont découvert dans ce récit de quoi largement alimenter leur symbolique. Comment ne pas voir que Perceval accomplit un
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