Perceval Le Gallois
collectif des peuples celtiques d’outre-Manche, au sein même de leur cadre originel, cadre qui a vu naître et se développer leur mythologie avant que celle-ci ne fût noyée dans le contexte culturel continental.
En vérité, la version galloise permet, en éliminant les charges prétendument ésotériques accumulées sur le schéma originel, de remettre les choses en place et de mieux comprendre le personnage de Perceval. Celui-ci n’est ni plus ni moins qu’un héros de conte populaire traditionnel dont on retrouve la silhouette, sinon le nom, dans toute la mémoire orale de l’Europe. Le schéma de base est le suivant : un jeune homme pauvre, généralement laid, apparemment peu dégourdi, quitte sa famille pour gagner sa vie dans le vaste monde ; il rencontre les pires difficultés mais, grâce à son bon cœur (ou à un objet magique remis par une bonne fée), surmonte toutes les épreuves et finit par épouser la fille du roi. Très souvent, ce jeune homme est le troisième fils de la famille, et ses deux aînés, partis avant lui, ont piteusement échoué dans leur entreprise. Enfin, il acquiert, au cours de ses aventures, une grande intelligence et une remarquable beauté physique (6) .
Comme on sait, tout conte populaire exprime une mentalité rurale : le paysan, confiné sur sa terre et n’en vivant que très chichement, n’aspire qu’à en partir pour trouver une « bonne situation », dans une ville de préférence. Et si Perceval-Peredur est de noble origine, s’il appartient même, sans le savoir, à une lignée sacrée, il se conduit comme un petit rustre jamais sorti de chez lui mais qui, une fois qu’on lui a raconté le monde extérieur, ne peut plus résister à l’appel de l’aventure. Dans un « lai breton », c’est-à-dire un de ces courts récits en vers français du début du XIII e siècle qui sont des transpositions de contes populaires armoricains oraux, on retrouve intégralement, sous le nom de Tyolet, le Perceval-Peredur antérieur à la révélation : « Il connaissait l’art d’attraper les bêtes. Toutes les bêtes qu’il voulait, il les prenait grâce à son sifflet ; c’était le don d’une fée […]. Sa mère était une noble dame qui demeurait toujours dans une forêt […]. À dix lieues à la ronde, il n’y avait pas de maison […]. Il demeurait dans la forêt avec sa mère, jamais il n’en était sorti (7) . » Tous les ingrédients du conte populaire sont ainsi réunis. Et, symboliquement, le héros n’est pas encore né au monde extérieur, confiné qu’il est dans un univers utérin douillet, tranquille et rassurant.
C’est assez dire à quel point la « catastrophe de la naissance », pour reprendre l’expression psychanalytique, sera pénible pour le jeune homme projeté brusquement dans le monde des adultes. Certes, il ne doute de rien et ne craint pas le ridicule puisqu’il ignore tout des usages du monde. La façon dont Tyolet se présente au roi Arthur est encore caractéristique. Il entre évidemment à cheval dans la salle royale et s’adresse en ces termes au roi : « Je m’appelle chevalier-bête, j’ai tranché la tête de bien d’autres bêtes, et on m’appelle Tyolet. Je suis très habile à prendre du gibier. Noble seigneur, je suis le fils de la veuve de la forêt (8) . » Cependant, comme il s’agit d’un conte relativement court, les aventures de Tyolet ne se prolongeront guère : après une chasse quelque peu féerique et un contretemps imputable à un rival qui tente d’usurper son propre triomphe, il épousera une belle jeune fille, probablement une fée. C’est le schéma de base mais, intégrée dans l’ensemble du cycle arthurien, l’histoire de Perceval-Peredur sera beaucoup plus compliquée et se chargera, au fur et à mesure que divers auteurs se seront emparés du thème, d’éléments de plus en plus intellectuels aux résonances parfois inattendues.
Quelques-uns de ces éléments méritent qu’on s’y attarde. Tyolet a la franchise d’avouer qu’il est un « chevalier-bête ». Comme Peredur, et comme Perceval-Parzival dans une moindre mesure (parce que le texte est déjà plus littéraire), il se reconnaît dans un état primitif qu’on pourrait presque qualifier d’ hominien . Et sans entrer dans des considérations anthropologiques toujours remises en question, on peut en déduire que le héros en est encore à un stade où seul fonctionne ce qu’on appelle le « cerveau
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