Perceval Le Gallois
et je te pose une deuxième question : pourquoi veux-tu connaître la signification du Graal et de la Lance qui saigne ? – Parce que j’ai commis une faute quand je suis allé à la cour du Roi Pêcheur : je n’ai pas alors demandé quel était le sens des prodiges, et mon silence m’a empêché d’accomplir mon destin. Je veux retourner à la cour du Roi Pêcheur et terminer les aventures. – Encore une bonne réponse, dit Merlin, mais en aucun cas tu ne seras le Bon Chevalier qu’on attendait. Oui, tu termineras les aventures, mais tu ne seras plus le seul : tu auras deux compagnons, et c’est à vous trois que vous accomplirez le destin. Mais je voudrais encore une troisième réponse, Perceval : pourquoi veux-tu absolument retourner à la cour du Roi Pêcheur ? – Parce que c’est là que se trouve le Graal. » Merlin se remit à rire.
« Enfant ! s’écria-t-il, tu n’es qu’un enfant, Perceval à la Longue Lance ! Le Graal n’est pas plus à la cour du Roi Pêcheur qu’ailleurs, sois-en persuadé. Il est partout et nulle part. Le Graal n’est qu’un objet, Perceval, une simple coupe d’émeraude pour tes yeux ébahis. Mais je suis sûr qu’il apparaît à d’autres sous une forme bien différente. L’important n’est pas son apparence mais ce que cache cette apparence. Je suis devant toi sous l’aspect d’un bûcheron, mais je pourrais revêtir bien d’autres semblances ! » Perceval se tenait immobile, comme fasciné par les paroles de Merlin. Et, peu à peu, le jour baissait, une légère brume montait de la terre, noyant les derniers rayons du soleil.
« Merlin ! toi qui connais les secrets de ce monde, que dois-je faire ? – Ressoude ton épée et va-t’en jusqu’au Graal. – Mais comment trouver le chemin du lac Cotoatre ? – Il ne m’appartient pas de te le révéler. Cependant, dis-moi, Perceval, il me semble que tu oublies facilement tes promesses ! Tu as oublié de revenir vers la belle Blodeuwen. Tu as renoncé à rapporter le brachet et la tête de cerf au Château de l’Échiquier. Tu as oublié de venger ton père. Et, maintenant, voici que tu oublies que tu as promis à la Reine, là-bas, sous sa tente, de l’aimer plus que toute autre femme au monde. – Mais je ne peux aimer toutes les femmes plus que toutes les autres ! » Merlin éclata encore de rire. « Et c’est maintenant que tu t’en aperçois ! Tu as pourtant entendu conter l’histoire d’Énéour et des douze dames, je crois ? Néanmoins, tu t’es laissé prendre aux charmes de la Reine. Eh bien, Perceval, va la retrouver et tiens ta promesse. C’est la Reine qui te conduira elle-même au lac Cotoatre, près de la demeure du forgeron Govannon. J’aime mieux que tu couches cette nuit avec elle que de te voir ferrailler dans la forêt et tuer tous ceux que tu risquerais d’y rencontrer. Sache, Perceval, que l’amour est plus fort que la haine. Quand tu te seras complètement dépouillé de la haine qui t’encombre encore, quand tu te seras purifié dans l’amour, alors tu seras le vrai héros qu’on attendait. Et c’est parce que tu seras illuminé d’amour que tu pénétreras dans la lumière du Graal. Va maintenant. Je ne saurais garder plus longtemps la forme sous laquelle je t’apparais. Va, Perceval, et que Dieu te garde ! »
Perceval vit l’homme à la hache s’éloigner lentement vers les arbres. Plus il avançait, plus sa silhouette devenait floue. Quand il atteignit la forêt, il parut se dissoudre dans le brouillard qui montait vers les étoiles. Perceval fit demi-tour et, sans plus attendre, se dirigea vers la tente de soie vermeille où l’attendait la mystérieuse reine qu’il avait promis d’aimer plus que toute autre femme au monde (40) .
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