Petite histoire de l’Afrique
ailleurs, plus les entrepreneurs de la côte pénétraient à l’intérieur des terres, moins les chasseurs et les porteurs étaient libres d’agir à leur guise : les caravaniers nyamwezi (littéralement, les « gens de l’Ouest ») se muèrent en une « nation de porteurs » contrôlés par les Arabes. La monétarisation de l’économie devint la règle avec l’introduction des thalers de Marie-Thérèse, monnaie d’argent spécialement frappée en Autriche pour l’Afrique, depuis le XVIII e siècle 6 , et dont la stabilité était garantie par le fait qu’ils n’étaient émis qu’en échange delingots d’or. Même si l’agriculture de subsistance restait dominante, tout le monde produisait un tant soit peu pour le marché local ou régional, voire international : soit des vivres pour les citadins et les caravanes, soit des cauris (petits coquillages utilisés comme monnaie en Afrique occidentale) ramassés sur les plages et vendus aux négociants allemands qui les déversaient en Afrique de l’Ouest, soit de la résine copal ou des produits de plantation, soit encore de l’ivoire ou des esclaves, sans oublier les gens des hautes terres qui apportaient leur production dans les ports marchands. Les femmes brassaient la bière, teignaient des cotonnades ou vendaient des nattes avec les matières premières qu’elles cultivaient dans leurs champs, ou qu’elles achetaient de temps à autre aux marchands indiens. Les forgerons utilisaient du fer importé d’Europe ; la consommation de riz venu d’Inde se popularisa. Tout cela était encouragé par la montée du prix de l’ivoire garantie par l’insatiable demande occidentale, tandis que la baisse du prix des produits industriels importés rendait les termes de l’échange de plus en plus favorables, en apparence, aux entrepreneurs locaux. Un planteur, bien connu des Européens sous le nom de Tippu Tip, s’allia même un moment à l’explorateur Stanley dans le Haut-Congo. Il possédait dans la région une plantation esclavagiste où le travail était scandé par le gong. Il mourut en 1904 dans sa propriété de Zanzibar… et son faire-part de décès parut dans le Times .
L’État zanzibarite, État colonial, était trop hiérarchisé et compartimenté pour engendrer une nation. Du moinsaccéléra-t-il l’adoption d’une langue commune et la diffusion d’une culture aristocratique métissée à dominante musulmane, dont l’héritage devint un élément important des politiques nationales ultérieures. Le swahili est aujourd’hui la langue la plus parlée (et écrite) au sud du Sahara.
Plus au sud, le fait majeur de la première moitié du XIX e siècle fut la montée en puissance d’un petit royaume — sans doute lié au trafic d’esclaves — dont le souverain zoulou, Chaka, fit un État centralisé, autoritaire et guerrier. Chaka était lui-même soucieux d’entretenir sa réputation d’invincibilité, ce qui finit par en faire, selon les Blancs, un tyran sanguinaire et, selon les Africains, un héros libérateur (Senghor lui a consacré un poème célèbre). En réalité, il accueillit plutôt chaleureusement, en 1824, les premiers commerçants britanniques à qui il vendit volontiers de l’ivoire. Deux d’entre eux séjournèrent un temps dans son pays (près de Port Natal, qui deviendra Durban) et rédigèrent de précieux témoignages. Tout au long du XIX e siècle, l’historiographie produite par les Blancs exagéra l’influence de Chaka pour justifier leur propre expansion, au point que les historiens eurent un moment tendance à attribuer tous les troubles précoloniaux d’Afrique centro-australe aux guerres locales qu’il déclencha. En réalité, Chaka, qui mourut assassiné en 1828 (peut-être en raison de ses accointances avec les marchands d’esclaves blancs), fut incontestablement un réformateur d’envergure et un grand chef militaire. Son influence se développa au XIX e siècle vers le nord jusqu’au Zimbabwe occidentalactuel (avec l’arrivée des Ndebele venus du sud). Il sut, à sa façon, répondre aux menaces européennes (tout en refusant l’usage des armes à feu). L’unité culturelle des Zoulous résista durablement à la conquête, bien que leur territoire ait été réduit à une maigre réserve au nord du Natal, où une dernière révolte éclata en 1905-1906. Un nouveau souffle fut donné au mythe de Chaka au début des années 1920 par de jeunes intellectuels zoulous.
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