Piège pour Catherine
gueule vantards, grands rires hennissants et grosses bourrades triomphantes, ne s'-interrompant que pour réclamer à boire.
Cependant, leur chef n'avait même pas paru s'apercevoir que l'on était arrivé. Taciturne, l'œil fixé entre les deux oreilles de sa monture, il continuait d'avancer au pas régulier du cheval, indifférent à cette agitation qui saluait son retour, muré dans son silence distant.
Seuls quelques-uns des cavaliers, copiant leur attitude sur la sienne, le suivaient, cernant étroitement, comme pour les empêcher de fuir, les montures de Catherine, de Gauthier et de Bérenger.
On parvint ainsi au pont dont l'arche moussue enjambait le flot rapide de la rivière où les herbes s'étendaient comme de grandes chevelures vertes. Le château se dressa au-dessus d'eux, comme une falaise. Il ne laissait paraître aucun signe de vie. Muet, sombre et clos, ainsi qu'un tombeau sous l'énorme sceau en cœur de chêne de son grand pont relevé, il avait la majesté redoutable d'un dieu endormi.
Alors, Arnaud, qui durant tout le trajet n'avait pas desserré les dents, s'approcha de Catherine. Il était encore plus pâle qu'au départ et, sous l'ombre du casque, son visage était celui, grisâtre, d'un spectre.
De son gantelet, il montra le château silencieux.
— Voilà le but de ton voyage, fit-il d'une voix morne. C'est là que l'on t'attend ! Et c'est là que nous nous séparons...
Saisie, elle tourna brusquement la tête vers lui. Mais il ne la regardait pas et elle ne vit de lui qu'un profil buté, des traits durcis, le pli amer de sa bouche si serrée qu'elle ne formait plus qu'une ligne mince.
— Que veux-tu dire ? demanda-t-elle sourdement.
— Que l'heure est venue, pour toi, de choisir...
— De choisir ?
Oui : entre ta vie passée et ta vie actuelle. Ou bien tu renonces à entrer dans ce château, ou bien tu renonces à ta place auprès de moi... pour toujours !
Elle s'affola, épouvantée par la perspective qui s'ouvrait si brutalement devant elle, par ce choix que rien ne justifiait à ses yeux.
— Tu es fou ! s'écria-t-elle. Tu ne peux exiger cela de moi. Tu n'en as pas le droit.
— J'ai tous les droits sur toi. Jusqu'à présent, tu es ma femme.
— Tu n'as pas celui de m'empêcher de voir une dernière fois ma mère mourante, de la rejoindre pour lui rendre les derniers devoirs.
— En effet, mais à condition qu'il s'agisse bien de ta mère. Or, je sais qu'il n'en est rien. Ce n'est pas elle qui t'attend : c'est ton amant.
— C'est faux ! Je te jure que c'est faux ! Mon Dieu !... Comment te faire comprendre... te convaincre ? Écoute : laisse-moi entrer, seulement entrer, l'embrasser une dernière fois... Ensuite, je te le jure sur mes enfants, je ressortirai.
Pour la première fois, il tourna les yeux vers elle, la regarda un instant et Catherine fut effrayée par ce regard tragiquement vide. Il haussa les épaules, avec lassitude.
— Tu es peut-être sincère. Mais je sais que si tu entres là, tu n'en ressortiras pas. On s'est donné trop de mal pour te faire venir jusqu'ici.
On ne te lâchera pas.
— Alors, viens avec moi. Après tout, cette mourante, tu es devenu son fils, même si tu n'en es pas très fier. Tu as été bon avec elle, jadis, courtois et même affectueux. Elle serait doublement heureuse de nous voir ensemble. Pourquoi ne lui dirais-tu pas un dernier adieu, toi aussi
?
Elle s'animait à cette idée. Un peu de rose montait à ses joues pâles et ses yeux brillaient d'espoir. Mais Arnaud se mit à rire et c'était bien le rire le plus dur, le plus sec et le plus tragique qui se pût entendre.
Allons, Catherine, raisonne ! Où est ton intelligence ? Que j'entre avec toi, alors que depuis trois jours nous assiégeons ce château pour prendre le renard au piège ? Tu veux rire ? Je n'en sortirais pas vivant.
Aussi, l'occasion serait trop belle pour Philippe : tenir la femme et se débarrasser du mari.
— Tu es fou ! gémit-elle. Je te jure que tu es fou ! Le duc Philippe n'est pas là, j'en suis certaine ! Il ne peut pas être là...
— Et cependant, il y est, affirma tranquillement la voix douce d'un cavalier qui venait d'apparaître auprès d'Arnaud.
A son aspect plus encore qu'à la cotte d'armes armoriée qu'il portait sur son armure, Catherine reconnut le Damoiseau de Commercy.
Montant un grand étalon rouan, il ne portait pas de casque et montrait nue sa belle tête fine couronnée de cheveux aussi doux et aussi dorés que ceux
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