Piège pour Catherine
la gifle que lui avait assenée Arnaud, mais, à cela près, les deux visages avaient, dans le sommeil, la même jeunesse et la même fragilité. Pourtant, n'étaient-ils pas, pour elle, les meilleurs et les plus fidèles compagnons ?
Au-dehors, la corne d'un guetteur mugit. Il devait encore pleuvoir car des filets d'eau serpentaient sous les planches de la grange, avec le clapotis d'une gouttière qui se déversait.
Catherine se leva, secoua de son mieux ses vêtements, alla tremper son mouchoir dans une flaque en prenant soin de ne pas racler le fond boueux et se le passa sur la figure. Puis elle arrangea ses cheveux, les tressa de son mieux et fourra le tout sous le camail de soie.
Elle avait soif et faim, mais l'impression d'abandon était pire que tout.
Elle se sentait seule, malgré ces deux garçons qui dormaient là, seule alors que son époux, l'homme qui lui avait juré protection, amour et fidélité, se trouvait à quelques pas d'elle. Mais un abîme les séparait désormais, un gouffre qu'elle osait à peine regarder parce que sa profondeur lui donnait le vertige.
On marchait au-dehors. Le bruit de souliers ferrés se faisait entendre, raclant la terre. Puis il y eut des appels, des rires et le hennissement des chevaux. Enfin des hommes entrèrent, le dos rond sous la pluie. Catherine reconnut le Boiteux et Cornisse.
— Ah ! vous êtes réveillée ! fit le premier en lui tendant une cruche et un morceau de pain, tandis que son compagnon allait secouer les garçons avec des rations analogues.
— Tenez, buvez ça ! Quant au pain, fourrez-le dans votre poche et suivez-moi. Vous mangerez en route !
Elle prit le pain, but un grand coup de l'eau qui était fraîche et d'un goût agréable. Puis jetant un coup d'œil à ses jeunes compagnons qui titubaient sur leurs jambes, les yeux encore gros de sommeil, elle dit, s'adressant à l'écorcheur :
— Où allons-nous ? Où est... le Capitaine ?
— Il attend au-dehors ! Alors dépêchez-vous car il n'est pas patient
! — Je sais ! Mais vous ne m'avez pas répondu : où allons-nous ?
— On rentre ! Je veux dire : on retourne à Châteauvillain. On n'est venu ici que pour fourrager ! Le Damoiseau nous attend !
Bérenger s'approcha, mordant déjà dans son pain, un espoir au fond des yeux.
— À Châteauvillain ? Messire Arnaud veut bien que nous y allions
? — Il n'a pas le choix ! répondit Catherine sèchement. Il obéit. Ça lui arrive, à ce que l'on dirait...
Il y avait un monde de dédain, de colère et d'humiliation dans ces quelques mots. Ramassant son manteau de cheval, elle le jeta sur ses épaules.
— Je suis prête ! fit-elle.
— Alors, venez ! Vos chevaux sont devant la porte.
On quitta la grange. La pluie, en effet, tombait toujours. Dans l'unique rue du village, ou dans ce qu'il en restait, la longue file de la compagnie d'écorcheurs s'étirait comme un serpent aux écailles de fer encore assoupi. Ils attendaient...
Le Boiteux offrit sa main, gauchement, pour aider Catherine à se mettre en selle, mais elle dédaigna son aide. Posant légèrement le bout de sa botte sur l'étrier, elle s'enleva avec souplesse. Elle saisit les rênes d'une main ferme, se tourna vers Gauthier et Bérenger, pour voir où ils en étaient. Mais eux aussi attendaient déjà, immobiles sur leurs montures, les yeux curieusement vides.
— Je vous suis ! Marchez ! dit Catherine au Boiteux.
Ils remontèrent la colonne. Très droite, la tête haute et la lèvre dédaigneuse, Catherine n'offrit à tous ces hommes qu'un profil impassible. Elle refusait de voir les pauvres vestiges qui se montraient derrière la troupe. Elle refusait de voir les faces féroces des soudards et les dépouilles qui traînaient encore un peu partout. Elle refusait de voir le tas de cadavres que l'on avait sommairement empilés près du calvaire et qui allaient pourrir là, engendrant peut-être la peste ou quelque autre fléau dès que la chaleur reviendrait. Elle refusait aussi de voir le troupeau parqué à l'entrée d'un champ et où, parmi les bêtes de somme, quelques hommes enchaînés se tenaient, tête basse, misérable bétail humain que l'on enrôlerait de force et qui devraient se faire plus loups que les loups s'ils ne voulaient être dévorés.
Tout au bout, prêt à prendre la tête de la colonne, Arnaud attendait lui aussi. Armé de pied en cap, immobile sur son destrier noir, hautain et silencieux, il ne montrait de lui-même que les deux tiers de son
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