Piège pour Catherine
n'avait pas vu Arnaud se retourner une seule fois pour lui adresser un dernier adieu. Elle sentait même que, s'il avait pu, il aurait mis son cheval au galop afin de rejoindre plus vite ses frères d'armes, les autres capitaines du Roi, La Hire, Xaintrailles, Chabannes, tous ces hommes pour qui la vie ne valait qu'en raison du danger couru, des coups et des victoires remportées et qui tissaient, entre Catherine et son belliqueux époux, cette tapisserie de haute lice, faite d'acier et de sang, dont les motifs se relevaient, hauts en couleur, sur l'or brûlant des matins de victoire et l'azur des bannières royales dressées en face des lignes noires de l'ennemi. Il y avait aussi les longues années de fraternité, les souvenirs communs, gais ou tragiques, les blessures reçues ensemble et dont le sang se mêle aux bassins des barbiers, après avoir rougi les mêmes mottes d'herbe foulée.
La vie des hommes entre eux ! Celle qui n'appartient qu'à eux et où toute femme, même la plus aimée, n'est qu'une intruse !
« Ses amis lui tiennent à cœur plus que moi », avait- elle pensé alors.
Pourtant, dans la nuit qui avait précédé son départ, il l'avait aimée avec une sorte de fureur. Il l'avait prise et reprise jusqu'à être obligé d'arracher du lit les draps trempés de sueur, labourant inlassablement la tendre chair offerte et emplissant la chambre close de ses clameurs de victoire. Jamais Catherine ne l'avait connu ainsi, jamais non plus elle n'avait connu plaisir aussi intense, ni aussi épuisant. Mais, au plus aigu de sa joie de femme comblée, une bizarre idée avait germé dans l'esprit de Catherine et, quand enfin, au moment où la cloche du monastère sonnait matines, il s'était laissé retomber auprès d'elle, haletant, prêt à couler comme un nageur épuisé au plus profond du sommeil, elle s'était pelotonnée contre lui et, les lèvres contre les muscles durs de sa poitrine, elle avait murmuré :
— Tu ne m'as encore jamais aimée ainsi... Pourquoi ?
La voix déjà embrumée, il avait répondu calmement.
— Parce que j'en avais envie... et pour que tu ne m'oublies pas quand je serai loin...
Puis il n'avait plus rien dit et s'était endormi, serrant dans son poing fermé la main moite de sa femme, comme s'il cherchait à l'empêcher de s'éloigner de lui, même un instant. Et Catherine avait compris qu'elle avait vu juste. D'ailleurs, ne sachant pas mentir, il l'avait admis simplement : la meilleure manière de ne pas oublier son mari, pour une jeune femme, n'est-elle pas d'occuper les longueurs de l'absence avec les malaises d'une future maternité ? Un raisonnement bien masculin, en somme, et surtout bien dans la note d'un mari jaloux ! Et, dans la chaude obscurité des courtines bien tirées, Catherine avait souri...
Mais cette folle et dernière nuit n'avait pas porté de fruit et le sourire, dès l'aube, avait fait place aux larmes difficilement retenues.
A cette minute où le danger auquel Arnaud ne croyait pas (c'était un homme qui n'avait jamais su se défier de ses amis) fondait sur Montsalvy, Catherine était contente que l'égoïste et tendre machiavélisme de son époux eût échoué. Qu'eût-elle fait, Seigneur, des nausées d'une grossesse alors qu'il lui fallait jouer les héroïnes guerrières ?
D'un geste de la main, dérisoire et machinal, Catherine chassa les regrets comme des mouches importunes. Sans y penser, elle avait franchi la barbacane du château et l'agitation qui y régnait lui sauta au visage.
La cour bourdonnait comme une ruche au mois de mai. Les servantes couraient en tous sens, les unes ramenant du lavoir les corbillons pleins de linge mouillé, les autres charriant vers le chemin de ronde des bassines d'eau et des jarres d'huile qu'elles posaient près des grands feux que les valets allumaient sur le rempart sous la direction de Saturnin, le vieux bailli. Dans un coin, le forgeron et l'armurier étaient au travail, arrachant de l'enclume étincelles et vacarme. Mais à mi-chemin entre le logis et les cuisines, près du four d'où quelques femmes tiraient des miches fumantes et dorées à souhait, Catherine aperçut Sara qui, les mains croisées sur son ventre drapé d'un grand tablier blanc, dominait le tumulte, aussi tranquille que si ce jour-là eût été un jour comme tous les autres. Le geste du bras et le sourire qu'elle adressa de loin à la châtelaine étaient tout juste les mêmes que d'habitude, ni plus rapides, ni plus crispés. Et
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