Piège pour Catherine
l'exemple car je suis la dame de Montsalvy ! Occupe-toi de ceux qui viennent. Moi, je retourne à la porte d'Aurillac voir où en sont les choses. Les routiers, à cause de la nuit, ne peuvent investir Montsalvy dès ce soir. Ils ne trouveraient pas les chemins. Mais ils doivent déjà s'installer sur le plateau.
Elle fit volter son cheval et reprit, en sens inverse, le chemin qu'elle avait parcouru quelques instants plus tôt, mais beaucoup plus lentement à cause des groupes de paysans qui accouraient.
La terreur était peinte sur les visages. Tous ou presque avaient déjà vécu, quatre ans plus tôt, l'invasion du routier Valette, lieutenant du Castillan Rodrigue de Villa-Andrado. Certains avaient subi la torture, d'autres avaient vu les leurs expirer dans les tourments et, derrière la voix de bronze de la Géraude, c'étaient leurs cris de souffrance et leurs gémissements d'agonie qui emplissaient encore les oreilles des survivants.
Tout en marchant, ils priaient à haute voix, s'interrompant seulement pour saluer Catherine et demander sa protection. A tous elle disait un mot d'espoir, une parole d'accueil et, de l'avoir vue, si calme en apparence, leur peur se faisait moins lourde tandis qu'ils avançaient vers le château ou vers le monastère.
A mesure qu'ils entraient, la ville, qui, d'ordinaire, dès que la nuit était close et le couvre-feu corné, semblait se rouler en boule pour dormir comme un gros chat noir, s'emplissait de bruit et de lumières, tellement qu'on aurait dit une fête si les regards n'avaient reflété tant d'angoisse. Même le grincement des enseignes, dans le vent du soir, avait quelque chose de menaçant.
Sur le rempart, au-dessus de la porte d'Aurillac, dûment barricadée, il y avait foule. Hommes, femmes, enfants, vieillards, entassés pêle-mêle, braillaient si fort des chapelets d'insultes à l'adresse de l'assaillant invisible qu'on ne s'entendait plus.
Catherine aperçut, au milieu, Josse qui tentait de les faire taire, peut-être pour parlementer. Attachant vivement son cheval à l'anneau du bourrelier, Catherine releva sa robe sur son bras et se lança dans le raide escalier de moellons qui rampait vers le chemin de ronde.
Quelqu'un la vit monter et cria :
— Voilà Dame Catherine ! Place ! Place à notre dame !
Le mot la fit sourire, mais lui serra le cœur tant il traduisait de naïve confiance et de dévotieuse tendresse. N'était-elle pas, pour ces braves gens, le seul recours terrestre, celle en qui reposaient tous leurs espoirs d'une vie acceptable ? Pour eux, la châtelaine était un peu l'émanation de cette autre dame, infiniment plus haute et plus puissante, la dame du Ciel qui était leur ultime espérance et leur dernier secours. Et si le cœur de Catherine s'était serré, c'est qu'elle avait eu pleine conscience, tout à coup, de sa faiblesse, alors qu'elle se trouvait dans l'obligation de se montrer à la hauteur de cette confiance.
Saisie par des dizaines de mains qui l'aidèrent à gravir les dernières marches, elle se retrouva, sans trop savoir comment, penchée à un créneau, auprès de l'abbé Bernard, dont le visage lui parut étrangement figé.
— J'allais vous faire chercher, Dame Catherine, murmura-t-il vivement. J'ai tenté de parlementer, mais c'est à vous seule que ces gens veulent parler !
— Je leur parlerai donc ! Bien que je n'aie guère d'espoir d'être entendue.
S'appuyant des deux mains au créneau, elle se pencha... La pente douce qui coulait du Puy de l'Arbre et venait buter contre les murs de Montsalvy grouillait de vie. La troupe, importante mais disparate, des seigneurs d'Apchier s'occupait déjà à établir un camp. À la lisière des arbres, à quelques toises, on dressait des tentes visiblement fabriquées avec tout ce qui avait pu tomber sous la griffe des pillards. Certaines, en peaux de chèvre mal tannées, montraient des poils raides, collés de crasse. D'autres faisaient alterner de larges bandes de riches tissus ternis et crottés avec de grands morceaux de toile à sacs. Les feux s'allumaient, reflétés en luisances rouges sur les trognes barbues des hommes d'armes. Certains préparaient déjà le souper. Des valets sales écorchaient deux sangliers fraîchement tués et trois moutons, d'autres mettaient à bouillir d'énormes chaudrons accrochés à des piques disposées en faisceaux, tandis qu'une troisième équipe sortait un tonneau d'une des maisons abandonnées. Chose étrange, aucune des
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