Piège pour Catherine
inquiéta :
— J'entends couler l'eau, dit-elle, mais d'où viennent ces coups sourds ?
— Encore quelques instants de patience et vous comprendrez...
Elle n'insista pas pour ne pas gâcher le plaisir du saint homme qui, de toute évidence, lui réservait une surprise, sans doute ce mystérieux moyen de quitter la ville. Mais, dans ce cas, pourquoi ne l'avait-il pas révélé plus tôt ?... Elle ne prolongea cependant pas ses cogitations intimes car sa curiosité venait de trouver une nouvelle matière à s'exercer : l'escalier longeait un mur qui, sous la lumière fugitive de la lanterne, se révélait peint à fresques. Ou, tout au moins, avait été, jadis, peint à fresques, car de larges plaques de plâtre colorié s'y montraient, dessinant la draperie angulaire d'un vêtement et d'étranges poissons stylisés qui semblaient pris dans un filet.
Mais on était parvenu au bas des marches et l'abbé levait sa lanterne en tournant, très lentement, sur lui- même.
— Regardez, dit-il seulement.
Suivant le trajet du halo lumineux, la jeune femme obéit, non sans une exclamation de surprise.
Elle se trouvait au fond d'une crypte, visiblement taillée dans le rocher dont les parois se montraient brutes sur la majeure partie de la pièce.
Mais ce roc avait des reflets mauves et pourprés qui dénonçaient les filons d'améthystes et composaient un décor aussi barbare que fastueux, encadrant le chœur arrondi d'une chapelle borné d'un arc en plein cintre et de deux demi-piliers ronds.
Là, les fresques reparaissaient, moins abîmées que celles de l'escalier, reproduisant, mêlés à une théorie d'anges naïfs aux longues ailes pointues, les symboles des Quatre Evangélistes. Mais le plus étrange était le fond de cette chapelle : anges et symboles cheminaient vers un étonnant soleil d'or, dont les rayons rigides se bosselaient de toutes les pierres dont était si riche le sous-sol de la vieille Auvergne volcanique : aigues- marines et péridots, quartz roses et améthystes, topazes et citrines. Tout cela brillait doucement dans l'ombre, révélé par le feu de la lanterne, et tout cela brillait pour rien, car au centre du soleil se creusait une niche vide à l'exception d'une épaisse couche de poussière. Devant cette niche, il y avait une table de basalte vert criblé d'olivines, une espèce d'autel barbare où se voyaient encore les coulures noires des cierges qui y avaient brûlé.
De cette niche vide, de cet autel un instant arraché à la nuit sépulcrale par la flamme timide d'une lanterne, émanait une telle tristesse, une si pesante impression d'abandon, que Catherine en frissonna.
— Quel lieu étrange ! Pourquoi n'ai-je encore jamais entendu parler de cette chapelle ?
Parce que personne, ici, hormis moi, c'est-à-dire le dernier des abbés de Montsalvy à cette date, n'aurait pu le faire. Parce que personne, ici... pas même votre époux, ne la connaît. C'est le secret de Montsalvy, celui de sa raison d'être, mais aussi celui de son âme perdue... Vous le voyez, elle est vide. Au cœur de ce soleil, qui résume le monde, il n'y a plus rien... depuis près de deux cents ans.
Mais il reste une légende et cette légende, elle, est vivante au cœur des anciens... et aussi des plus jeunes. Ils croient que ce n'est qu'une légende et ils en sourient mais, tout au fond d'eux-mêmes, ils pensent qu'il y a un peu de vrai, même s'ils ne veulent pas l'avouer et n'en parlent jamais. Ils croient à un secret perdu dans la nuit des temps, mais ils espèrent, confusément qu' « il » est enfoui quelque part, dans quelque grotte perdue ou au fond de quelque abîme. S'ils savaient qu'on nous l'a arraché depuis longtemps et qu'il ne nous reste plus qu'un sanctuaire abandonné, ils seraient trop déçus. Voilà pourquoi les abbés de Montsalvy, s'ils se lèguent le secret de l'un à l'autre au lit de mort, ne le révèlent jamais à personne...
— Pourquoi à moi, alors ?
L'abbé Bernard eut un sourire dans lequel, pour la première fois, Catherine put mesurer l'étendue de l'affection et de l'estime qu'il lui portait.
— Peut-être parce que vous n'êtes pas d'ici, mais aussi parce que vous pouvez comprendre et parce que vous avez l'âme assez haute et assez bien trempée pour accepter la révélation d'un trésor perdu, même le plus précieux, le plus insigne. Cela ne vous empêchera pas d'aller votre chemin la tête haute, droit devant vous... Et puis, il fallait bien que, ce chemin, je le
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