Piège pour Catherine
fois. Il gagna la Catalogne.
Mais ce n'était pas le hasard qui lui avait fait choisir cette terre, si peu de temps auparavant encore grattée par les Maures : il voulait y fouiller les secrets des anciens rois wisigoths, ariens, hérétiques mais savants et dépositaires d'antiques secrets, et cela dans un but bien défini. Dans son Auvergne natale, en effet, les vieux contaient encore la grande peur qui s'était levée, cinq siècles plus tôt, à l'approche d'Euric, le Clovis wisigoth, l'homme qui avait conquis le Portugal, la Haute Espagne, la Navarre, la Gaule méridionale, mis le siège devant Clermont et battu les Bretons à Bourges.
» Arien convaincu, mais sans hostilité pour le christianisme, puisqu'il avait fait de saint Léon son meilleur conseiller, Euric ne se déplaçait jamais sans un mystérieux trésor qu'il traînait à sa suite comme un roi captif et qu'il faisait garder étroitement comme si la présence auprès de lui de cet objet garantissait sa vie elle-même. La légende dit qu'un horrible ulcère qu'il portait au flanc réapparaissait dès qu'il lui fallait s'éloigner un moment de ce trésor...
» Quand il mourut, à Arles, en 484, son fils, Alaric, monta sur le trône. Il était, lui, un hérétique sans nuances et le merveilleux trésor de son père, il l'eût peut-être fait disparaître si son beau-père, le grand Théodoric, roi d'Italie, ne s'en était emparé et ne l'avait emporté à Ravenne, sa capitale.
» Alaric mourut jeune, tué par Clovis à la bataille de Vouillé, et Théodoric régna sur les terres wisigothes durant la minorité de son petit-fils Amalaric. Mais il conserva pour lui l'insigne relique car Amalaric était encore pire que son père : une bête sauvage, dont l'épouse Clotilde devait périr de ses mauvais traitements. Et le fameux trésor disparut avec Théodoric qui l'avait fait placer secrètement dans le tombeau monumental que, tel un pharaon, il s'était préparé à Ravenne...
à Ravenne où, bien plus tard, Gerbert devenu archevêque de la ville devait le retrouver...
» Patiemment, longuement, notre moine avait poursuivi à la fois ses études, ses recherches et sa carrière. À Reims, dont il était devenu l'un des maîtres, il avait élevé un roi avant d'en devenir l'archevêque et sa réputation de magicien, d'homme surnaturel avait grandi avec les honneurs qui lui venaient. Mais il était hanté par le trésor d'Euric dont il espérait bien qu'un jour il tomberait entre ses mains. C'est ce qui advint quand il fut nommé au siège de Ravenne. Mais il n'y resta que fort peu de temps et, peu après, il était élu pape.
» Parvenu au pontificat suprême, il ne voulut pas conserver à Rome l'objet qu'il avait cherché toute sa vie. Il craignait qu'après sa mort il n'y fût encore exposé au pire, puisque c'était à Rome que les Barbares d'Alaric Ier1 s'en étaient emparés. Parce qu'il en connaissait la grande foi et l'indéfectible fidélité, il voulut en faire don à son pays d'Auvergne qu'il ne reverrait jamais. Alors, il le confia à un homme dont il était sûr, à ce Mandulphe, né sur la terre des volcans et qui était son ami depuis longtemps.
» Mandulphe revint ici. Il connaissait bien ce pays où il avait vu le jour et, au lieu de remettre la relique, comme Gerbert le lui avait conseillé, au monastère de Saint-Géraud, il préféra un abri plus sûr, une cachette plus profonde.
» Il choisit donc un ancien oppidum qui s'était dressé jadis sur le Puy de l'Arbre et en releva les ruines. La terre en était d'ailleurs alleu de Saint-Géraud. Il en fit un fort château, creusa le souterrain, la chapelle secrète. II ne restait plus qu'à bâtir un monastère pour qu'une garde consacrée fût donnée au trésor. Ce fut Gausbert qui, continuant l'œuvre de Mandulphe, s'en chargea et notre sainte maison s'éleva sur la chapelle enfouie... »
1. Ancêtre d'Euric, prit et pilla Rome en 410.
L'abbé Bernard s'arrêta un instant pour reprendre haleine et, peut-être aussi, pour calmer l'émotion qu'il éprouvait à évoquer ainsi les débuts de son monastère.
Catherine, qui l'avait écouté sans oser émettre un son, en profita pour poser la question qui la brûlait.
— Mais enfin, Révérend Père, ce trésor, cet objet, cette relique...
qu'était-elle ? Il fallait qu'elle soit incroyablement précieuse.
— Plus encore que vous n'imaginez ! Pourtant ce n'était qu'un vase bien modeste, un simple gobelet d'argent terni par le
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