Piège pour Catherine
Il y avait du sang... du sang partout et j'ai vu cette horreur avec mes yeux de treize ans. J'ai failli en devenir folle, mais Dieu m'a fait la charité de m'ôter la conscience tandis que les furieux pendaient mon père et mettaient le feu à ma maison. Ma mère et moi... avons trouvé refuge dans la Cour des Miracles, tandis que Caboche enlevait ma sœur et la violait ! C'est là que j'ai rencontré ma bonne Sara... Elle m'a soignée... sauvée...
Au fil des paroles se renouait celui des souvenirs.
Devant les yeux de Catherine, les images d'autrefois renaissaient et, au fond de sa mémoire, elle retrouvait, comme un trésor enfoui depuis longtemps, ses impulsions adolescentes dans leur fraîcheur première.
Vingt-trois ans pourtant !... vingt-trois ans que son cœur d'enfant avait lancé son premier cri d'amour, sitôt suivi d'une plainte d'agonie.
C'était hier, en vérité, qu'elle avait vu Michel abattu sous ses yeux, alors qu'elle avait tout risqué pour l'arracher à la mort. Elle l'avait aimé spontanément, au premier regard, comme la fleur en bouton éclate au soleil levant. En une seconde, il était devenu tout son univers et elle avait cru mourir de sa mort atroce.
Longtemps, longtemps ensuite, elle avait gardé la certitude que son cœur si profondément navré ne revivrait plus jamais... jusqu'à ce soir pluvieux où, sur une route du Nord, la trame relâchée du destin avait brusquement resserré ses fils en jetant, presque sous ses pas, le seul être capable de lui faire oublier le tendre et cruel amour de ses treize ans, remplacé à cette minute par la plus insensée, la plus brûlante et la plus merveilleuse des passions.
Des larmes coulaient silencieusement sur le visage de la jeune femme, chaudes et salées, pour glisser doucement de ses yeux clos aux commissures tremblantes de ses lèvres. L'homme et l'adolescent qui la regardaient osaient à peine respirer, craignant de troubler cette douloureuse rêverie. Ils se regardaient sans oser manifester leur présence, persuadés l'un et l'autre que Catherine les avait oubliés.
Mais, déjà, le présent la reprenait et, sans même ouvrir les yeux, elle demanda d'une voix enrouée :
— C'est lui, n'est-ce pas... c'est Guillaume Legoix que mon époux a tué ?
C'était à peine une question. La réponse était tout entière dans la science profonde, charnelle, qu'elle avait des réactions passionnelles de son époux.
En effet ! Encore avons-nous pu intervenir à temps pour l'empêcher de tuer aussi Cauchon. Il avait dagué le boucher et, déjà, il tenait l'évêque, dans la poussière, la poitrine sous son genou et la gorge sous son gantelet.
Brusquement Catherine ouvrit les yeux tout grands et, sans transition, explosa littéralement :
— Ah ! Vous êtes arrivés à temps ? Et vous en êtes fiers, on dirait
? Fiers d'avoir sauvé la vie de ce porc, de ce monstre qui a brûlé Jeanne ! Mais non seulement vous n'auriez pas dû l'empêcher, mais vous auriez dû, de vous-même, le pendre à la première potence venue.
Quant à mon époux, sachez que non seulement je ne lui reproche pas ce qu'il a fait, mais j'en aurais fait tout autant... et pire encore peut-
être, car ce n'était que justice, pure, simple et bonne justice amplement méritée ! Quel homme, digne de ce nom, peut rester les bras croisés et l'âme absente quand passe devant lui l'assassin de son frère ? Pas le mien, en tout cas ! On a du sang, chez les Montsalvy, du sang bouillant, ardent, généreux, que l'on ne regarde pas à verser pour le Roi ou pour le pays.
— Je n'ai jamais dit le contraire, grogna Tristan, et tout le monde sait depuis longtemps, dans l'armée, que votre époux possède le caractère le plus emporté qui soit. Mais, au fait, pourquoi donc n'a-t-il pas dit les liens qui vous unissaient à ce Legoix et le mal qu'il vous avait fait ? Quand on l'a arrêté, il s'est borné à vociférer que Legoix était une charogne et qu'il avait fait justice.
— S'il l'avait dit, cela aurait-il changé quelque chose à son cas ? Et trouvez-vous qu'il y ait eu pour lui, dans ce cousinage, matière à fierté
? Voyez-vous, Tristan, mon époux n'aime guère rappeler que son épouse est née dans une boutique du Pont-au-Change, chez un brave homme d'orfèvre qui avait l'âme et les doigts d'un ange... mais aucun quartier de noblesse.
Il a tort, bougonna Tristan, bien que je le comprenne. Pour ma part, je crois bien que je vous en aime davantage. Mais les grands
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