Piège pour Catherine
portants.
Pensant que la présence à Paris de la dame de Montsalvy pouvait inciter ceux d'Auvergne à sortir de leur coléreuse retraite, Tristan l'Hermite se hâta de leur apprendre la nouvelle.
En quittant l'auberge de l'Aigle, il se rendit tout droit au cabaret du Grand Godet, en Grève, où quelques-uns de leurs chefs tenaient leur permanence. Si l'on n'y mangeait plus de hérisson rôti, de tétine de vache ou d'« anguille des bois en gelée » (autrement dit de la couleuvre ainsi accommodée) comme naguère, au temps de la grande disette, la chère y était encore maigre. Par contre, l'aunis blanc et sec y était incomparable et les deux Roquemaurel, flanqués de leur inséparable Gontran de Fabrefort, autre luron du même bois qu'eux-mêmes, en avaient rapidement découvert lés mérites.
En agissant ainsi, le prévôt avait conscience de servir aussi bien les intérêts de son maître, en obligeant les révoltés à sortir de leur trou, que ceux de ses amis Montsalvy, en fournissant à Catherine une vigoureuse escorte au moment où il lui faudrait affronter Richemont.
L'entretien fut bref. Les quelques conseils bien sentis que délivra Tristan furent dignement arrosés, comme il convenait entre gentilshommes, et, quand il se leva pour sortir, son départ fut salué de grandes claques cordiales appliquées sur son dos par Renaud de Roquemaurel et par une grande embrassade vineuse de Fabrefort qui le serra un- instant dans ses bras en l'appelant son « bon frère ».
On prit rendez-vous pour la matinée du lendemain.
Son message officieux délivré, Tristan se dirigea vers l'hôtel des Tournelles, l'élégante résidence des ducs d'Orléans, proche de la Bastille, et y rendit une visite discrète à un haut personnage sur l'appui duquel il savait pouvoir compter dans la circonstance présente. Il en sortit au bout d'une demi-heure, beaucoup plus détendu qu'il n'y était entré, et ce fut en fredonnant, assez faux mais avec conviction, un rondeau à boire, qu'il tourna enfin la tête de son cheval vers l'hôtel du Porc-épic, naguère encore propriété du duc de Bourgogne, mais que Philippe le Bon avait fait offrir au Connétable en remplacement de son hôtel de Richemont, sis dans la rue Hautefeuille, proche des Cordeliers, qui lui avait été j confisqué en 1425 par les Anglais et dont il ne restait plus grand-chose.
Le résultat de toutes ces allées et venues fut que le lendemain matin, quand les cloches de Sainte-Catherine- du-Val-des-Escholiers sonnèrent tierce', maître Renaudot se demanda si une émeute n'était pas en train de se former devant sa maison car, à cette minute précise, un escadron de vigoureux percherons déversa, au seuil de l'auberge, une troupe de gentilshommes à la mine fière mais haute en couleur, et singulièrement bruyants.
Ils parlaient tous à la fois, avec des voix profondes, I habituées à crier dans les orages montagnards et issues de poitrines qui avaient déjà connu le corps à corps avec des ours. À leur accent, l'aubergiste comprit qu'ils étaient tous auvergnats
1 Environ 9 heures du matin.
. Quelques-uns, d'ailleurs, étaient sortis pour la première fois de leurs terres en l'honneur rail misérable d'une suppliante issue tout droit de sa province.
De tout temps, sa beauté exceptionnelle avait été sa meilleure arme.
Qu'elle eût dépassé trente-cinq ans n'y avait rien changé, sinon pour la rendre plus moelleuse et plus envoûtante. En cela, elle pouvait dire que ses épreuves l'avaient servie car, lorsqu'elle contemplait certaines femmes de son âge, précocement déformées par les maternités, vieillies par le laisser-aller ou l'ignorance des soins corporels, Catherine bénissait son séjour à Grenade dans la maison d'une grosse Éthiopienne, que l'on appelait Fatima la Baigneuse, et d'où elle avait rapporté de sévères principes et de précieuses recettes grâce auxquels la fuite des années ne lui faisait aucunement peur.
Ce matin, elle reçut comme un hommage tout naturel le regard ébloui que l'aubergiste lui dédia. Toutes traces de fatigue ou de douleur effacées, Catherine se savait belle et élégante dans une longue robe de velours noir, haut ceinturée sous les seins et sans ornements autres qu'une bande d'hermine neigeuse bordant le double décolleté en pointe qui, dans le dos, descendait jusqu'à la ceinture, les étroites et longues manches et le bas de la robe qui se prolongeait en une traîne de trois pieds.
Sur ses
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