Potion pour une veuve
et trois balluchons étaient encore posés à terre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda le sergent.
— Ils partiront avec vous, répondit Judith.
— Maman craint que vous ne mouriez de faim sur la route de Barcelone, expliqua Raquel. Elle a préparé un petit dîner froid.
— Et comment allons-nous l’emporter ? Les mules en ont déjà trop pour une telle distance et par une telle chaleur.
— Ma fille et mon époux chevaucheront à vos côtés pendant la première partie du trajet, dit Judith. Ils n’ont pas de bagages avec eux. Leurs mules pourront porter le repas et revenir avec les paniers.
— Ils vont venir avec nous ? Son Excellence a négligé de nous en parler.
— Mon père a pensé que Yusuf aurait peut-être du mal à nous quitter, dit Raquel.
— Ce n’est pas un bébé, fit remarquer le sergent.
— Non, mais il va manquer à mon père. À moi aussi. Ne vous inquiétez pas. Nous ferons demi-tour quand vous vous serez arrêtés pour déjeuner.
— Ah, voici Son Excellence, fit Judith avec soulagement. Enfin.
Elle n’avait cessé d’observer le visage du sergent, où l’exaspération avait cédé la place à une incrédulité qui se changeait maintenant en colère.
Comme l’évêque descendait le flanc de la colline, deux autres mules vinrent rejoindre les voyageurs impatients.
À cet instant – heureusement pour sa réputation –, Oliver Climent arriva. Il montait un lourd cheval, d’apparence puissante, et conduisait sa mule croulant sous les bagages. Dans un tourbillon d’activité, les derniers paquets furent attachés et les derniers adieux échangés. Il ne restait plus qu’à partir quand, l’air passablement agité, le secrétaire de Son Excellence dévala le flanc de la colline, un petit paquet à la main.
En soupirant, le sergent mit pied à terre pour aller voir quel était ce nouveau problème.
Au nord, de l’autre côté de la place, un portier à moitié endormi bâillait et entreprenait d’ôter la barre et de déverrouiller la porte menant à Sant Feliu puis à la Via Augusta, cette grande route romaine qui joignait les terres mauresques et castillanes, au sud et à l’ouest de Valence, aux frontières nord-est de la Catalogne – non pas que le portier se souciât de l’origine et de la destination de la route en question.
— Sommes-nous si en retard que les portes de la ville s’entrouvrent déjà ? cria Oliver.
— Je ne sais rien de votre vie, bailli, dit le portier en se tournant vers lui. Je sais seulement que je dois ouvrir tôt ce matin.
— Mais pas pour nous, certainement ?
— Pourquoi ferais-je ça ? répondit le portier en crachant dans la poussière de la chaussée. Je n’ai pas senti le poids de votre argent. Il y a dans cette ville d’autres gens qui ont des affaires importantes à mener, et l’un d’eux attend la venue de tant de richesses qu’il paiera un bon prix pour me tirer du lit avant que chacun s’éveille. Maintenant laissez-moi retourner à mes occupations.
— Rien ne me ferait plus plaisir, dit Oliver.
À cet instant, un autre personnage traversa la place et dévala la colline en direction de la porte nord.
— Holà, appela-t-il, portier ! Mon charretier est-il arrivé ?
— Pas encore, maître Luis, répondit l’homme. Tout est calme jusqu’à maintenant.
Il acheva de fixer le deuxième battant au montant du grand portail de pierre, jeta un coup d’œil à l’extérieur, ne vit ni n’entendit la moindre charrette, puis se retira dans sa petite loge, prêt à bondir pour extirper au charretier un ou deux sous supplémentaires.
La place recouvra le calme qui était habituellement sien en ce début de matinée. Hormis le murmure de la conversation que tenaient le sergent, l’évêque et son secrétaire, le seul bruit était celui de sabots dans le lointain et du pépiement des oiseaux. Le médecin mit pied à terre et se joignit aux autres. Les quatre hommes parlèrent à voix basse, puis hochèrent la tête et se séparèrent, et l’on n’entendit à nouveau plus que les oiseaux et le cavalier qui se rapprochait.
Ce demi-silence fut rompu par un cri rauque, un claquement de sabots, puis le bruit sourd, insupportable, d’un corps qui se heurte à quelque chose de dur. Pendant un moment interminable, chacun se figea.
— Qu’est-ce que c’était ? demanda Judith.
— Par là, dit Yusuf en désignant la porte nord.
Un homme était apparu sous l’arche de pierre.
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