Potion pour une veuve
nouveau à son patient.
— Oui, seigneur.
Le garçon s’approcha de la fenêtre pour observer le ciel, qui passait du noir au gris. Il se pencha et leva les yeux, découvrant la lune, pâle sur fond clair. De l’autre côté du palais, le ciel allait virer au rose à l’approche du lever du soleil. Il était conscient que, derrière lui, on ôtait le couteau de la blessure et que, travaillant avec une rapidité qu’il savait ne pouvoir égaler, Raquel étanchait le sang et refermait les chairs. Il l’entendit murmurer quand elle voulut faire boire le patient pour apaiser sa douleur. Il en savait assez sur les blessures pour comprendre qu’on ne pouvait rien de plus pour lui aujourd’hui. Ils ne s’attarderaient certainement pas. Il était déjà tard, et son impatience à partir était énorme.
Il entendit alors le lourd pas botté d’un officier dans le couloir.
— Quelles nouvelles ? dit une voix hors de la pièce.
— Voilà qui est fait, répondit une voix familière.
La porte s’ouvrit et Oliver, le bailli, entra.
Ils allaient partir. Yusuf se retourna pour dire adieu à son maître et à Raquel, mais il s’immobilisa. Oliver n’était pas venu le chercher. Au lieu de ça, il avait tiré une chaise et s’était assis à côté de Pasqual comme s’il avait l’intention de passer toute la journée avec lui.
Perplexe, Yusuf revint à la fenêtre et tenta de comprendre. Oliver et Pasqual paraissaient être devenus très intimes en si peu de temps. Étrange. Aux yeux de Yusuf, Pasqual Robert était un être totalement dénué d’intérêt. Il connaissait la plupart des habitants de la ville et, en dehors de ce que chacun savait, n’avait jamais appris quoi que ce fût d’intéressant à propos de ce greffier. C’était un homme paisible, d’une taille légèrement inférieure à la moyenne, plutôt mince. Un homme timide qui, telle une souris, allait de son emploi à son logis en longeant les murs plutôt qu’en traversant les espaces découverts. Vraiment pas de quoi inspirer une telle dévotion, songea-t-il. Il y avait certainement autre chose.
Il comprenait que son maître passât des heures, voire des jours, au chevet d’un étranger. Le médecin se sentait une obligation sacrée envers tout individu qui, malade ou blessé, remettait sa vie entre ses mains. Ainsi en était-il pour Raquel, même si, décida-t-il avec une certaine perspicacité, certains patients lui inspiraient moins de dévotion que d’autres. Mais pourquoi cet étranger venu d’on ne savait où et en route pour Barcelone s’inquiéterait-il pour Pasqual, le greffier ?
Yusuf les imaginait traîner là toute la journée, puis rentrer chez eux et se lever une fois encore en pleine nuit pour prendre la route le lendemain à l’aube. Trop énervé pour rester là à ne rien faire, il sortit dans le couloir.
Le père Bernat, le secrétaire franciscain jamais au repos de l’archevêque, se tenait près de la porte, inoccupé. Cela ne lui ressemblait pas. Tout le monde, hormis son maître et Raquel, se comportait de façon étrange.
— Pourquoi le bailli veille-t-il sur Pasqual ? demanda Yusuf.
Il avait découvert depuis quelque temps que la plus grande faiblesse de Bernat était le commérage et qu’il savait ainsi tout ce qui se passait aux abords du palais.
— Pasqual Robert a travaillé pour lui il y a peu, lui répondit Bernat. La dernière fois qu’il était ici, Oliver a demandé à Son Excellence de lui recommander quelqu’un de sérieux, et Son Excellence a suggéré Pasqual. Son Excellence est très contrariée, ajouta Bernat comme si c’était là l’aspect le plus grave de cet incident.
— Devait-il nous accompagner ? Personne n’en a parlé.
— Je l’ignore, dit le secrétaire en secouant la tête. Mais sa mule et lui ont disparu la semaine dernière. En pleine nuit.
— Je ne veillerais pas quelqu’un qui disparaît ainsi, répliqua Yusuf dans un bâillement. De toute façon, si nous attendons Oliver Climent pour partir, je ferais mieux de retourner à côté au cas où l’on aurait besoin de moi.
Quand Yusuf revint dans la pièce, le médecin était penché au-dessus de Pasqual, l’oreille collée à sa poitrine et la main posée sur son cou. Raquel se tenait à hauteur de l’oreiller, un linge dans une main et un gobelet d’eau dans l’autre. Le patient allait plus mal. Son visage était gris, ses traits tirés ; son corps semblait s’être ratatiné sur
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