Potion pour une veuve
regarda et comprit qu’il attendait effectivement ses ordres. Il se tourna vers les hommes allongés sur des lits et des paillasses bien alignés. Visiblement, ils souffraient tous beaucoup.
— Qu’est-ce que tu me suggères ? demanda-t-il, affolé.
— Ce n’est pas à moi de le dire, répondit Marc avec froideur. Vous pensiez à quoi ?
— Qui sont les plus malades ? J’aimerais commencer par eux.
— Vous ne le voyez pas ?
— Pas comme toi, dit Yusuf. Je ne les connais pas et je n’ai pas ton expérience.
— Vous savez au moins ça. Ces deux-là, ajouta-t-il en désignant des soldats qui frissonnaient, balbutiaient et secouaient la tête en tous sens. Avez-vous apporté avec vous une substance qui puisse les guérir ?
L’homme et le jeune garçon se retirèrent dans une partie isolée de l’infirmerie et fouillèrent dans le coffre que l’on avait destiné à ce groupe-ci. Puis Marc vit le panier de Yusuf contenant ses remèdes.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en prenant dans sa main un petit flacon cacheté de cire.
— C’est réservé aux douleurs les plus pénibles. Une goutte dans du vin coupé d’eau calme instantanément quasiment toute souffrance. Mon maître en donne trois avant l’arrivée du chirurgien et de sa lancette.
— Et si vous en donnez quatre ?
— Je n’en suis pas certain, mais cinq peuvent tuer. Six, et c’est la mort assurée.
— Vous avez autre chose contre la douleur ?
— Oui. J’ai des racines et des herbes pour préparer des infusions contre le mal et les fièvres.
— Dans ce cas, rangez votre flacon, jeune maître, jusqu’au début des combats. Il pourrait en tenter certains, y compris moi-même, et il ne faut pas le gaspiller. On en aura besoin alors.
Sur cette remarque plutôt ambiguë, il prit un récipient et le huma.
— Ça, c’est sûrement pour la fièvre.
— Oui, dit Yusuf. C’est justement pour préparer l’infusion dont je parlais.
— Il n’y en aura pas pour tout le monde.
— Je suis certain de pouvoir trouver ces plantes dans les champs alentour. Je sais comment les accommoder et les mélanger.
Marc émit un grognement dans lequel on pouvait voir approbation ou scepticisme.
— J’ai de l’eau qui bout dehors. On va pouvoir en préparer assez pour en donner pendant un jour ou deux à toute la tente.
Sur ce, une trêve temporaire s’instaura entre le vétéran endurci et le novice terrifié. Ensemble, ils firent en sorte que la vingtaine d’occupants de l’infirmerie passent une nuit la plus calme possible.
Au début de son troisième jour en Sardaigne – son deuxième à l’infirmerie –, Yusuf avait déjà une telle habitude de la routine du camp qu’il avait l’impression d’avoir toujours connu cette tente. Un des deux hommes les plus malades était mort au cours de la première nuit, mais l’autre présentait une certaine amélioration. Le médecin avait fait sortir deux soldats de l’infirmerie pour en faire entrer deux autres.
— Celui-ci est un grand seigneur, murmura Marc quand le second homme fut amené, suivi de près par le médecin. Il s’appelle Pere Boyll. Il devrait se trouver sous sa propre tente, avec ses serviteurs, mais ceux-ci sont tombés malades. Quand il ne s’est pas senti bien, il a demandé à être avec les autres, et notre tente est certainement la moins peuplée de toutes.
— Qui sont les autres dont nous nous occupons ? demanda Yusuf. Je n’ai pas eu le temps de m’en soucier hier.
— Soyez assuré, jeune maître, que ce ne sont pas des hommes du commun, lui confia son assistant. Le pupille de Sa Majesté n’a pas à s’occuper d’eux, ajouta-t-il sèchement. Ils sont entassés comme du bétail ; ils souffrent peut-être de la fièvre, mais au moins, ils sont à l’abri du soleil et de la pluie. Ceux-ci sont tous des chevaliers, à l’exception du seigneur Pere Boyll, qui est un valeureux guerrier, très proche de Sa Majesté. Je suis persuadé que nous toucherons plus de vivres et de remèdes que les autres.
Le seigneur Pere avait le teint grisâtre, il tremblait et claquait des dents. Ses poings crispés et son visage tendu révélaient toute sa souffrance. Yusuf s’approcha de lui avec un bol plein d’une infusion de feuilles de saule et d’autres herbes destinées à faire tomber la fièvre.
Le médecin prit le bol, le sentit et le rendit à Yusuf.
— Il faudrait qu’il boive. Ce ne sera pas
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