Potion pour une veuve
dames de compagnie passèrent les vingt minutes suivantes à s’extasier en toute franchise sur la bordure de la robe de Sa Majesté. Et quand la décision fut prise, elles avaient complètement oublié Don Manuel et Gueralt de Robau.
— Vous êtes une femme intelligente, Doña Clara, murmura Tomasa. Mais un jour je souhaiterais connaître le fin mot de l’histoire. J’ai d’excellentes raisons pour vouloir être votre amie.
À l’aube du troisième jour, Yusuf se sentait comme un voyageur et médecin expérimenté, avec deux douzaines de patients se portant assez bien malgré des conditions parfois difficiles. Vers tierce, sa confiance vacilla. Des vents de travers firent rouler et tanguer la galée, et il s’accrocha au bastingage, plutôt nauséeux.
— Nous dirigeons-nous vers l’orage ? demanda-t-il à un marin.
— Non, messire. Ce sera du beau temps, aussi loin que vous pouvez voir. En approchant des îles, les vents sont un peu contraires. Mais ne vous inquiétez pas. On arrivera au port en bonne forme.
Le timonier eut un sourire.
— Ne le croyez pas. Mais vous vous serez fait au roulis quand il aura cessé.
Sur ce, il éclata de rire et reprit sa barre.
À cet instant, le serviteur de Don Ramón de Ruisech fit son apparition.
— Jeune maître, dit-il. C’est mon seigneur. Il va très mal ce matin. Il refuse d’ingurgiter votre mixture.
— C’est le gros temps. Il affecte tout le monde, dit Yusuf.
— Je ne crois pas, messire. Vous devriez le voir.
— J’arrive. Laisse-moi le temps de prendre mon panier.
Il passa par sa cabine et se rendit auprès de Don Ramón. Celui-ci était dans un état désespéré.
Yusuf s’assit auprès de lui et l’épongea. Il lui fit couler dans la gorge une boisson aux plantes sucrée et du bouillon. Mais Don Ramón ne gardait rien. Yusuf dut recommencer à maintes reprises, lui donnant de l’eau, puis sa décoction, en vain à chaque fois. Se souvenant de son maître, il mit dans de l’eau une goutte d’un remède contre la douleur provenant de sa réserve personnelle et en tamponna les lèvres sèches et craquelées de Don Ramón. Il dormit alors si longtemps que Yusuf craignit de l’avoir tué. Mais il n’allait pas mieux quand il se réveilla.
Pendant le sommeil de Don Ramón, Yusuf prit une plume et de l’encre et, malgré les mouvements de la galée, alla s’asseoir à l’extérieur pour noter ce qu’il venait de faire pour ce patient.
— Cela m’étonne que vous puissiez écrire par un tel temps, dit une voix familière.
C’était Gueralt de Robau, qui le regardait en souriant.
— Ce n’est peut-être pas parfait, mais je profite de ce que mon patient dort. Vous-même, que faites-vous ici ?
— J’ai aidé ces pauvres âmes et il me faut de l’air frais. Est-ce là la triste légende de mon ami Don Manuel ?
— Non, dit Yusuf en refermant son livre. Ce sont des notes relatives à la traversée et aux soins prodigués aux malades. Mais de quelle légende parlez-vous ?
— Je me flatte de voir clair en toute chose, dit-il avec un rire sardonique. Mais Don Manuel m’a fait connaître mes limites. Savez-vous qu’il n’a jamais été page chez le seigneur Pere ? J’admire un homme capable de raconter pareille fable, ajouta-t-il d’un ton léger, mais je pense qu’il est allé trop loin. Je l’interrogeais souvent sur la vie qu’on menait dans cette maison. J’ai fini par me rendre compte qu’il connaissait encore moins Valence que moi.
— Qu’avez-vous fait alors ?
— Ce que j’ai fait ? Mais rien. C’était un ami, Yusuf. Heureusement, je devais quitter le campement le lendemain. Cela m’a donné une bonne leçon. Je suis monté à bord de cette galée, et voilà. Mais ce fut douloureux.
— Pourquoi vous en aller ? s’étonna Yusuf. Vous ne semblez pas du tout malade.
— Ce sont les ordres. Je reviendrai quand…
Mais le serviteur de Don Ramón appela avant qu’il pût achever sa phrase.
— Il bouge, messire.
Yusuf rangea livre, plume et encre sous un rouleau de cordage.
— À plus tard, señor.
Don Ramón s’agitait en tous sens mais ne se réveillait pas malgré tous les efforts déployés.
— Fais en sorte que son visage et ses mains soient toujours frais, finit par dire Yusuf. Et tamponne d’eau ses lèvres. Je vais revenir.
— Et puis, seigneur Pere, quand je suis ressorti, je n’ai pu retrouver mon livre. La plume était bien là, et l’encre,
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