Potion pour une veuve
sous ? Mais quel rapport y a-t-il avec la mort de Pasqual Robert ?
— Je sais seulement qu’il y en a un, señor. Peut-être ne vous en souvenez-vous pas.
— Je vous assure, seigneur Oliver, que je n’oublierais pas une telle demande et un tel montant, fit Mercer en riant.
— Vous arrive-t-il de devoir ce genre de somme ?
— Certainement. Chaque fois que je reçois une livraison, je dois cela, et bien plus encore. Mais chaque fois, je m’y attends. Je n’ai pas l’habitude qu’un étranger m’aborde ainsi.
— Justement, un étranger vous a-t-il réclamé une somme récemment ?
— Non, dit-il en secouant la tête d’un air pensif. Bien qu’une chose étrange me soit arrivée il y a peu. Un étranger, avec une curieuse façon de parler, a demandé à me voir. Quand Catarina l’a introduit, il m’a examiné de pied en cap, a fait non de la tête, s’est excusé de m’avoir dérangé et est reparti sans un mot.
— À quoi ressemblait-il ? demanda Oliver.
— À quoi il ressemblait ? Eh bien… Débraillé. Oui, vêtu d’une livrée à la mode, comme le serviteur d’un riche, mais qui aurait connu des moments difficiles. Sa tunique était sale et déchirée, sa culotte aussi, je crois.
— Était-il grand ? Gros ?
— Pas grand. Plutôt mince. Il me semble qu’il avait une cicatrice au front. C’était peut-être un soldat.
— Était-il blessé au bras ?
— J’ai l’impression, oui. C’est curieux que vous sachiez tout. Puis-je vous proposer encore un peu de vin ?
— Je ne dois pas vous arracher trop longtemps à vos affaires, maître Luis.
Avant de rentrer, Isaac s’arrêta au domicile de Luis Vidal, marchand d’étoffes spécialisé dans les soieries et les tissus de belle qualité.
— Maître Isaac, s’écria le marchand, je suis heureux de vous voir ! J’allais vous envoyer chercher pour une broutille, et vous voici. Du vin, dit-il en coupant d’eau la boisson qu’il tendit au médecin. On est assoiffé par une aussi chaude journée.
— C’est vrai. Je vous remercie. Et quelle est cette broutille que vous évoquiez ?
— Une irritation qui me brûle et me démange le bras.
— Je ne suis accompagné que du petit Judah, dit Isaac, et il ne fait pas encore la différence entre une rougeur et une morsure de chien. Allons, dites-moi à quoi cela ressemble, et s’il le faut je m’en reviendrai avec Raquel.
Après avoir assuré au marchand qu’il lui ferait porter des sels destinés à apaiser son bras, Isaac aborda avec Luis Vidal le problème qui l’intéressait.
— Si quelqu’un est venu me réclamer cent sous ? La réponse est simple, et c’est oui, maître Isaac.
— Pouvez-vous me parler de lui ? Pourquoi voulait-il cet argent ? Son nom ? À quoi ressemblait-il ?
— Il ne m’a pas confié son nom, maître Isaac, mais c’était un homme maigre, aux membres déliés et au visage de fouine. Vous savez, un nez fort et pointu, des joues creuses, un front bas et de petits yeux vifs. Il m’a assez plu. Il m’a demandé si je m’intéressais aux cartes.
— Aux cartes ? répéta le médecin.
— Oui. C’était un cartographe, paraît-il, capable de me dresser la carte de l’endroit où je voulais me rendre. Je lui ai répondu que je n’en avais nul besoin. Je ne suis pas un voyageur, et si j’emprunte des routes, je les connais déjà.
— Quelle a été sa réaction ?
— Il m’a remercié très poliment, regrettant d’avoir été mal informé, et s’est excusé de m’avoir fait perdre mon temps. Un homme assez plaisant. Un étranger, je pense.
— Un Castillan ?
— Oui.
Comme maître Luis Mercer n’habitait pas très loin de la taverne de Rodrigue, Oliver porta ses pas dans cette direction. À en juger d’après les bruits qui s’échappaient par la porte grande ouverte, la bonne humeur régnait : les journaliers reprenaient des forces avant les trois ou quatre heures de travail qui les attendaient encore dans la chaleur moins virulente de cette fin d’après-midi. Il monta l’escalier et se trouva une place à l’extrémité d’une longue table à tréteaux.
— Que voulez-vous ? lui demanda une grande et belle femme, sortie en silence d’une cuisine que l’on ne voyait pas depuis la porte d’entrée.
— Êtes-vous la tenancière de cet établissement ?
— Je suis Ana, épouse de Rodrigue.
— Une assiettée de soupe, maîtresse, dit calmement Oliver. Un
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