Potion pour une veuve
plus… Que s’est-il passé ?
— Il n’y est plus depuis des années, dit le seigneur Pere. Je crois que ça va aller à présent, ajouta-t-il à l’adresse du serviteur qui soutenait Yusuf. Viens avec moi, nous allons nous asseoir dans la cour.
Il murmura à l’oreille de son serviteur et conduisit le garçon dans un espace charmant occupé par des fontaines, des orangers et des buissons verdoyants.
— J’étais depuis peu au service de Sa Majesté – je n’étais plus page depuis longtemps, mais je n’avais encore que du duvet au menton – quand ton père est arrivé avec toi. Tu as charmé tout le monde, surtout notre défunte reine Leonor. Tu étais un merveilleux enfant, avec toutes les manières d’un courtisan accompli.
— Je me suis souvent demandé pourquoi mon père m’avait pris avec lui. Je devais être un fardeau pour lui.
— Nullement. Tu étais l’une des raisons de sa venue. Tu devais être page dans la maison de Sa Majesté le roi, expliqua le seigneur Pere.
— Page ? Auprès de Sa Majesté ?
— Oui. C’est pourquoi notre roi se sent une telle responsabilité envers toi. Tu étais un petit gage dans le cadre d’un accord entre Grenade et l’Aragon, l’élément d’un effort pour ramener la paix aux marches du royaume et en faire un rempart contre la puissance castillane.
— Un otage, dit Yusuf.
— Non. Pas un otage. Tu n’aurais pas perdu la tête si l’émir avait déçu Sa Majesté. Ton père a été pris dans le soulèvement et a péri avant que tu puisses rejoindre la maison royale. Nous pensions que tu étais mort, toi aussi, même si nous ne trouvions pas ton cadavre. C’est un miracle que tu aies survécu à ce bain de sang. Tu as dû être très rapide.
— Je me souviens d’avoir couru. Et de m’être caché, à plusieurs reprises, jusqu’à ce que j’atteigne la campagne. Un comédien itinérant m’a trouvé, il m’a enseigné la langue du pays.
— Ton père était un homme très digne et un grand guerrier. J’ai été fort affligé par sa mort, mais j’ai exulté de joie en apprenant que l’on avait retrouvé son fils. Allons nous restaurer à présent, puis nous ferons notre rapport au procurateur de Sa Majesté.
Quand le seigneur Pere Boyll et Yusuf furent introduits dans son cabinet, Son Excellence, Huc de Fenollet, archevêque de Valence et procurateur de Sa Majesté pour le royaume de Valence, était assis en compagnie de son secrétaire et de plusieurs autres aides. Il était décharné et paraissait épuisé, mais il les accueillit tout de même d’un sourire courtois.
— Monseigneur, dit l’archevêque, vous êtes bien la dernière personne que je m’attendais à voir dans ce palais. On m’a dit que vous étiez plus mort que vif en débarquant ce matin.
— Heureusement, Votre Excellence, il y avait là un peu d’exagération, dit Boyll. Mais j’espère que nous vous trouvons en meilleure santé.
Fenollet secoua doucement la tête.
— Ma santé n’a que peu d’importance. Quelles nouvelles nous apportez-vous de Sa Majesté ? Certains rapports…
— Sa Majesté se remet. Sa maladie ne fut qu’une attaque de sa vieille ennemie, la fièvre intermittente, expliqua Boyll. Les affaires de la guerre sont à nouveau entre ses mains.
— Je suis soulagé de vous entendre le confirmer. Le royaume s’est joint en prière pour sa guérison. Mais Ramón de Ruisech ?
— Son état est très inquiétant, Votre Excellence. Nous avons dû le porter jusqu’à la grève.
— Il devait retourner en Sardaigne avec six galées pleinement armées et lourdes d’approvisionnement, fit l’archevêque d’un air las. Nous avons travaillé jour et nuit pour qu’elles soient prêtes à temps.
— Et le seront-elles ? s’enquit le seigneur Pere en se tournant vers le secrétaire.
— Oui, monseigneur, répondit celui-ci, quand il sera guéri.
— Et va-t-il guérir, mon garçon ? Qu’en penses-tu ? demanda le seigneur Pere à Yusuf.
— Monseigneur, ceux qui sont morts aujourd’hui étaient aussi malades que lui. Je regrette de ne pas être assez savant pour pouvoir en dire davantage.
— Qui est-ce, monseigneur, qui parle comme un médecin ? demanda Fenollet. Votre page ?
— Non, Votre Excellence. C’est le page de Sa Majesté le roi, Yusuf ibn Hasan.
— Le jeune Hasan… des rumeurs prétendaient que tu étais mort.
Il examina soigneusement le garçon pendant quelques
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