Prophétie
es là un dimanche ? Et tu étais déjà là hier ? Tu négliges la malheureuse Tamasin.
— Elle va bien. »
Il se leva et se mit à ranger des ouvrages et des papiers. Fixant son large dos, je me demandai ce qui n’allait pas entre lui et sa femme, ce qui le poussait à s’attarder à l’étude et, à en juger par sa mine, à passer la nuit dehors. Tamasin était une jolie fille, aussi vive que Barak, et il avait été heureux de l’épouser l’année précédente, même si les noces avaient été avancées à cause de la grossesse de la fiancée. Leur fils était mort le jour de sa naissance, et, quoique Barak eût gardé sa joyeuse insolence, son badinage avait désormais quelque chose de forcé, l’angoisse transparaissant parfois dans son regard. Je savais que si la perte d’un enfant rapprochait parfois certains couples, elle en séparait d’autres.
« Tu as vu les parents d’Adam Kite hier, quand ils sont venus prendre rendez-vous, dis-je. Maître Kite et son épouse. Comment sont-ils ?
— Ce sont des ouvriers, répondit Barak en se tournant vers moi. Il est maçon. Il s’est lancé dans une tirade à propos de la miséricorde divine, qui leur a permis de présenter leur dossier devant la Cour des requêtes, puisque Dieu n’abandonne pas les véritables chrétiens… Ils m’ont l’air d’évangélistes zélés, poursuivit-il en fronçant les narines.Alors que les dévots que j’ai rencontrés jusque-là semblent en général très imbus d’eux-mêmes, les Kite ont l’allure d’un couple de chats écrabouillés.
— Rien d’étonnant à cela, vu ce qui s’est passé.
— Je sais… » Il hésita un instant, puis reprit : « Allez-vous devoir vous rendre là-bas, au milieu des fous qui s’arrachent leurs vêtements et font résonner leurs chaînes ?
— Sans doute, fis-je en jetant un coup d’œil aux documents. Le gamin a dix-sept ans. Il a été présenté au Conseil le 3 mars pour conduite frénétique et indécente devant l’édicule de la Preaching Cross dans le cimetière de Saint-Paul. Il divaguait en poussant “des plaintes et des cris étranges”. On l’a enfermé à l’asile de Bedlam dans l’espoir d’une guérison. Il n’y a aucune autre instruction. Aucun examen n’a été pratiqué par un médecin ou par un comité pour déterminer son état mental. C’est anormal.
— Il peut s’estimer heureux de ne pas avoir été inculpé d’hérésie, déclara Barak en posant sur moi un regard grave. Rappelez-vous ce qui est arrivé à Richard Mekins et à John Collins.
— Aujourd’hui le Conseil est plus prudent. »
Dix-huit mois plus tôt, Mekins, un apprenti de quinze ans, avait été brûlé vif à Smithfield pour avoir nié la présence de Jésus lors de l’eucharistie. Le cas de John Collins, qui avait décoché une flèche contre la statue du Christ dans une église, avait été encore pire. Beaucoup l’avaient considéré lui aussi comme fou, mais le roi ayant fait adopter l’année précédente une loi qui autorisait l’exécution des déments, le jeune homme avait été envoyé au bûcher. Cette cruauté avait monté le peuple contre l’évêque et la brutalité de sa gestion religieuse de la ville. Depuis, il n’y avait plus eu d’exécution par le feu.
« Il paraît que Bonner s’est remis à pourchasser les extrémistes.
— C’est ce qu’on a dit au dîner, hier soir. À ton avis, qu’est-ce qui se passe, Jack ? » Barak gardait des amis parmi ceux qui travaillaient dans les marges obscures de la Cour, ceux qui fréquentaient les tavernes et les tripots pour faire leur rapport sur l’état de l’opinion publique, et j’avais l’impression qu’il passait depuis quelque temps pas mal d’heures à boire en compagnie de ses anciens copains interlopes.
Il posa de nouveau sur moi un regard grave. « Le bruit court que maintenant que l’Écosse ne constitue plus une menace, le roi désire contracter une alliance avec l’Espagne et faire la guerre à la France. Mais pour que l’empereur Charles Quint accepte ce projet, il lui faut paraître dur envers les hérétiques. Il va, paraît-il, essayer de faire voter au Parlement une loi interdisant la lecture de la Bible aux femmes et à la plèbe, tout en encourageant l’évêque Bonner à s’en prendre aux évangélistes de Londres. En tout cas, c’est ce qu’on dit à Whitehall.Voilà pourquoi, à votre place, je prendrais des gants pour traiter ce
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