Prophétie

Inn. Posant la main sur mon poignard, je tournai le coin du bâtiment. Le mur d’enceinte se dressait devant moi. Quiconque se trouvait là était pris au piège. Or il n’y avait personne. L’espace restreint entre les bâtiments et le mur de derrière haut de douze pieds, éclairé par les fenêtres de l’appartement des Elliard, était entièrement vide. J’eus des frissons dans le dos.
    Je vis alors que la neige qui couvrait le haut du mur avait été dérangée. L’intrus, quel qu’il fût, l’avait escaladé. Je restai figé là, médusé. Une telle escalade requérait beaucoup de force et d’agilité. Je doutais qu’il fût réellement possible d’exécuter une telle acrobatie, mais l’endroit étant vide et la neige ayant été piétinée, la réponse à mes interrogations était claire. Plissant le front, je rebroussai chemin. Je demanderais au veilleur de placer des tessons sur le haut du mur.

2
    L e lendemain matin, je me rendis tôt à mon étude , ayant rendez-vous à neuf heures avec les parents du gamin qui avait été enfermé à l’asile de Bedlam. Les renseignements que m’avait envoyés la Cour des requêtes étaient maigres mais assez inquiétants. On l’avait placé là sur ordre du Conseil privé, sans même que le tribunal de l’évêque l’ait inculpé, pour, selon les termes du certificat officiel, « avoir, dans sa frénésie démentielle, blasphémé la véritable religion ». L’affaire était donc politique, c’est-à-dire dangereuse. Je tâchai de me rassurer à nouveau en me disant que mon rôle dans cette affaire serait purement juridique, tout en maudissant le sort de m’avoir désigné plutôt que mon collègue à la Cour.
    Les documents décrivaient Adam Kite, mon client, comme le fils d’un maître maçon appartenant à la paroisse Saint-Martin, dans Greek Lane. J’avais envoyé Barak faire son enquête et il était revenu en me décrivant le pasteur comme « un tonitruant vociférateur ».
    Mauvaise nouvelle ! J’avais toujours trouvé les évangélistes d’un commerce difficile. Êtres durs et grossiers, ils vous martelaient la cervelle à grand coup de versets bibliques, tel un charpentier enfonçant des clous.
    Une brusque glissade sur une plaque de neige fondue me fit perdre l’équilibre, me tirant de mes sombres pensées. Un éclat de rire retentit.
    Les cloches carillonnaient dans toute la ville pour annoncer les offices du dimanche des Rameaux, mais je n’assistais plus désormais qu’aux fêtes d’obligation. Le dimanche suivant, perspective peu réjouissante, je serais forcé d’aller à la messe et d’effectuer ma confession annuelle. Le temps capricieux s’était à nouveau réchauffé et le sol de Chancery Lane était aussi boueux qu’une cour de ferme. Au moment où je passai sous le portail de Lincoln’s Inn, je me demandai si l’intendant allait prendre des mesures pour rendre le mur moins vulnérable. J’avais prié le gardien de lui faire part de ma rencontre avortée avec l’intrus.
    Quelque chose de mouillé me frappa le visage. Une deuxièmegoutte me fit comprendre qu’il pleuvait. C’était la première pluie après deux mois de neige et j’arrivai au bâtiment où était situé mon étude sous une pluie battante, mon bonnet complètement trempé. À ma grande surprise, Barak se trouvait déjà dans le secrétariat. Après avoir allumé le feu, il s’était installé à la grande table, rangeant des documents en prévision de l’audience de l’après-midi. Plaintes, déclarations sous serment et constats s’empilaient autour de lui. Il n’était pas rasé, son beau visage à l’air espiègle semblait fatigué et ses yeux étaient injectés de sang.
    « Il faut que tu te rases ce matin, sinon le juge risque de t’interpeller pour te reprocher un manque de respect. » Malgré mon ton brusque notre amitié était solide. Nous nous étions rencontrés lors d’une mission dépêchée par feu son maître, le ministre du roi Thomas Cromwell. Après l’exécution de Cromwell trois ans plus tôt, Barak était venu travailler pour moi. Assistant insolite, il était cependant fort efficace.
    « D’accord, grogna-t-il. J’ai tout préparé pour l’audience de cet après-midi. Et on attend d’un moment à l’autre les parents du timbré.
    — Ne l’appelle pas ainsi ! » protestai-je en parcourant les documents. Tout était en ordre, les annotations effectuées de l’écriture tremblée de Barak.
    « Tu