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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pris à croire qu’il aimait d’amour Madame Blanche de Navarre
qui lui avait été si vilainement enlevée, et il souffrait torture en la voyant
auprès de son père qui ne cessait de la mignoter en public, de la plus sotte
façon. Cela n’arrangea pas les nuits du duc Jean avec Madame de Boulogne, et le
rejeta davantage vers Monsieur d’Espagne. La prodigalité lui servit de
revanche. On eût dit qu’il se redonnait de l’honneur en dilapidant.
    D’ailleurs, après les mois de
terreur et de malheur qu’on venait de traverser durant la peste, tout le monde
dépensait follement. Surtout à Paris. Autour de la cour, c’était démence. On
prétendait que cette débauche de luxe procurait travail aux petites gens.
Pourtant on n’en voyait guère l’effet dans les masures et les soupentes. Entre
les princes endettés et le commun peuple miséreux, il y avait l’échelon où le
profit fuyait, happé par de gros marchands comme les Marcel, qui font négoce de
draps, soieries et autres denrées de parure et se sont alors grassement
enrichis. La mode devint extravagante, et le duc Jean, bien qu’il eût déjà
trente et un ans, arborait en compagnie de Monsieur d’Espagne des cottes
dentelées si courtes qu’elles leur laissaient paraître les fesses. On riait
d’eux lorsqu’ils étaient passés.
    Madame Blanche de Navarre avait été
reine plus tôt que prévu ; elle fut régnante moins longtemps qu’escompté.
Philippe de Valois avait réchappé de la guerre et de la peste ; il ne
résista pas à l’amour. Tant qu’il avait vécu auprès de son acariâtre boiteuse,
il était resté bel homme, un peu gras, mais toujours solide et allant, maniant
les armes, chevauchant vite, chassant longtemps. Six mois de prouesses galantes
auprès de sa belle épousée eurent raison de lui. Il ne quittait son lit qu’avec
l’idée d’y retourner. C’était obsession ; c’était frénésie. Il réclamait
de ses physiciens des préparations qui le fissent infatigable au déduit… Quoi
donc ?… Il vous surprend que… Mais si, mon neveu, mais si ; bien que
d’Église, ou plutôt parce que d’Église, il nous faut être instruits de ces
choses, surtout quand elles touchent la personne des rois.
    Madame Blanche subissait, à la fois
consentante, inquiète et flattée, cette passion qui lui était à tout moment
prouvée. Le roi se glorifiait publiquement qu’elle fût plus vite lasse que lui.
Bientôt il maigrit. Il se désintéressait de gouverner. Chaque semaine le
vieillissait d’une année. Il mourut le 22 août 1350, à cinquante-sept ans, dont
vingt-deux ans de règne.
    Sous des dehors splendides, ce
souverain auquel je fus fidèle… il était le roi de France, n’est-ce pas, et je
ne pouvais d’autre part pas oublier qu’il demanda pour moi le chapeau… ce
souverain avait été un très piteux capitaine et un financier désastreux. Il
avait perdu Calais, il avait perdu l’Aquitaine ; il laissait la Bretagne
en révolte et maintes places du royaume incertaines ou ravagées. Par-dessus
tout, il avait perdu le prestige. Ah si ! tout de même, il avait acheté le
Dauphiné. Nul ne peut être constamment catastrophique. C’est moi, il est bon
que vous le sachiez, qui ai conclu l’affaire, deux ans avant Crécy. Le Dauphin
Humbert était endetté à ne plus savoir à qui emprunter pour rembourser qui… Je
vous conterai la chose par le menu une autre fois, si elle vous intéresse, et
comment je m’y pris, en faisant porter la couronne de Dauphin par l’aîné fils
de France, à faire entrer le Viennois dans le giron du royaume. Aussi puis-je
dire, sans me vanter, que j’ai mieux servi la France que le roi
Philippe VI, car lui n’a su que rapetisser alors que moi j’ai réussi à
l’agrandir.
    Six ans déjà ! Six ans que le
roi Philippe est mort et que Monseigneur le duc Jean est devenu le roi
Jean II ! Ce sont six ans qui ont passé si vite qu’on se croirait
encore au début du règne. Est-ce parce que notre roi a fait si peu de choses
mémorables, ou bien parce que, plus l’on vieillit, plus le temps semble fuir
rapidement ? Quand on a vingt ans, chaque mois, chaque semaine, tout
enrichis de nouveautés, paraissent de grande durée… Vous verrez, Archambaud,
quand vous aurez mon âge, si vous y parvenez, ce que je vous souhaite de tout
mon cœur… On se retourne et l’on se dit : « Comment ? Déjà une
année passée ? Comment a-t-elle coulé si vite ! » Peut-être
parce

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