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Quand un roi perd la France

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Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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que l’on use beaucoup de moments à se souvenir, à revivre du temps vécu…
    Et voilà ; le jour est tombé.
Je savais que nous n’arriverions à Nontron qu’à la nuit noire.
    Brunet ! Brunet !… Demain,
il nous faudra partir avant l’aurore car nous aurons longue étape. Donc que
l’on harnache en temps, et que chacun soit pourvu de vivres car nous n’aurons
guère loisir de faire arrêt. Qui est parti vers Limoges pour annoncer ma
venue ? Armand de Guillermis ; c’est fort bien… Je dépêche ainsi mes
bacheliers à tour de rôle, pour veiller à mon logement et aux apprêts de ma
réception. Un jour ou deux en avance, mais pas plus. Juste ce qu’il faut pour
que les gens s’empressent, et pas assez pour que les plaignants du diocèse
puissent accourir et m’accabler de leurs suppliques… Le cardinal ?
Ah ! nous n’avons su que la veille ; hélas, il est déjà parti…
Autrement, mon neveu, je serais un vrai tribunal ambulant.
     

IV

LE CARDINAL ET LES ÉTOILES
    Eh ! mon neveu, je vois que vous
prenez goût à ma litière, et aux petits repas qu’on m’y sert. Et à ma
compagnie, et à ma compagnie, bien sûr… Prenez de ce confit de canard dont on
nous a fait présent à Nontron. C’est spécialité de la ville. Je ne sais comment
mon maître queux s’est arrangé pour nous le garder tiède…
    Brunet !… Brunet, vous direz à
mon queux combien j’apprécie qu’il conserve un peu chauds les mets qu’il
m’apprête ainsi pour la route ; il est habile… Ah ! il a des braises
dans son chariot… Non, non, je ne me plains point qu’on me serve deux fois à la
suite les mêmes nourritures, du moment qu’elles m’ont plu. Et j’avais trouvé
bien savoureux ce confit, hier soir. Remercions Dieu de nous en avoir pourvus à
suffisance.
    Le vin, certes, est un peu vert et
léger de corps. Ce n’est pas le vin de Sainte-Foy ou celui de Bergerac,
auxquels vous êtes accoutumé, Archambaud, sans parler de ceux de Saint-Émilion
et de Lussac qui sont régal, mais qui partent tous à présent de Libourne, par
vaisseaux pleins, pour l’Angleterre… Palais français n’y ont plus droit.
    N’est-ce pas, Brunet, que cela ne
vaut point un gobelet de Bergerac ? Le chevalier Aymar Brunet est de
Bergerac, et ne juge rien de meilleur que ce qui croît chez lui. Je le moque un
peu là-dessus…
    Ce matin, c’est dom Francesco Calvo,
le secrétaire papal, qui m’a fait compagnie. Je voulais qu’il me remémorât les
affaires dont j’aurai besogne à Limoges. Nous y resterons deux jours pleins,
peut-être trois. De toute façon, sauf à y être obligé par quelque urgence ou
mandement exprès, j’évite à cheminer le dimanche. Je désire que mon escorte
puisse assister aux offices et prendre son repos.
    Ah ! je ne puis celer que j’ai
quelque émoi à revoir Limoges ! Ce fut mon premier évêché. J’avais…
j’avais… j’étais plus jeune que vous n’êtes à présent, Archambaud ;
j’avais vingt-trois ans. Et je vous traite comme un jouvenceau ! C’est un
travers qui vient avec l’âge d’en user avec la jeunesse comme si elle était
encore l’enfance, en oubliant ce qu’on fut soi-même, à pareil âge. Il faudra me
reprendre, mon neveu, quand vous me verrez incliner dans ce défaut. Évêque… Ma
première mitre ! J’en étais bien fier, et j’eus tôt fait, à cause d’elle,
de commettre le péché d’orgueil. On disait, certes, que je devais mon siège à
la faveur, et que, tout comme mes premiers bénéfices m’avaient été octroyés par
Clément V à cause de la grande amitié qu’il portait à ma mère,
Jean XXII m’avait pourvu d’un évêché parce que nous avions accordé ma
dernière sœur, votre tante Aremburge, à un de ses petits-neveux, Jacques de La
Vie. Pour vous avouer le tout, c’était un peu vrai. Être neveu de pape est un
bel accident, mais dont le profit ne dure guère à moins que de s’allier à
quelque grande noblesse telle que la nôtre… Votre oncle La Vie fut un brave
homme.
    Pour ma part, si jeunet que je
fusse, je n’ai pas laissé le souvenir, je crois, d’un mauvais évêque. Quand je
vois tant de diocésains chenus qui ne savent tenir ni leurs ouailles ni leur
clergé, et qui nous accablent de leurs doléances et de leurs procès, je me dis
que je sus faire assez bien, et sans trop me donner de peine. J’avais de bons
vicaires… tenez, versez-moi encore de ce vin ; il faut faire passer le
confit… de bons

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