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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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voici que les calamités de la guerre à
présent s’abattent sur d’autres ; eh bien, ils s’en gaussent. À chacun,
n’est-ce pas, son tour de peine !
    Aussitôt débarqué, le prince de
Galles a fait battre monnaie et circuler de belles pièces d’or, frappées au lis
et au lion… au léopard comme veulent dire les Anglais… bien plus épaisses et
lourdes que celles de France marquées à l’agneau. « Le lion a mangé
l’agneau », disent les gens en manière de joyeuseté. Les vignes donnent
bien. La province est gardée. Le mouvement du port est riche et nombreux, et en
quelques mois il en est parti vingt mille tonneaux de vin, presque tout vers
l’Angleterre. Si bien que depuis l’hiver passé, les bourgeois de Bordeaux
montrent des faces réjouies et des ventres aussi ronds que leurs futailles.
Leurs femmes se pressent chez les drapiers, les orfèvres et les joailliers. La
ville vit dans les fêtes, et chaque retour du prince, en cette armure noire
qu’il affectionne et qui lui vaut son surnom, est salué par des réjouissances.
Toutes les bourgeoises en ont la tête tournée. Les soldats, riches de leurs
pillages, dépensent sans compter. Les capitaines de Galles et de Cornouailles
tiennent le haut du pavé ; et il s’est fait beaucoup de cocus à Bordeaux,
ces temps-ci, car la fortune n’encourage pas la vertu.
    On dirait de la France, depuis un
an, qu’elle a deux capitales, ce qui est la pire chose qui puisse advenir à un
royaume. À Bordeaux, l’opulence et la puissance ; à Paris, la pénurie et
la faiblesse. Que voulez-vous ? Les monnaies parisiennes ont été altérées
quatre-vingts fois depuis le début du règne. Oui, Archambaud, quatre-vingts
fois ! La livre tournois n’a plus que le dixième de la valeur qu’elle
avait à l’avènement du roi. Comment veut-on conduire un État avec de pareilles
finances ? Quand on laisse s’enfler sans mesure le prix de toutes denrées,
et quand on amincit en même temps la monnaie, il faut bien s’attendre à de
grands troubles et de grands revers. Les revers, la France les connaît, et les
troubles, elle y entre.
    Qu’a donc fait notre roi si futé,
l’autre hiver, pour conjurer des périls que chacun apercevait ? Ne pouvant
plus guère obtenir d’aides de la Langue d’oc, après la chevauchée anglaise, il
a convoqué les États généraux de la Langue d’oïl. La réunion n’a point tourné à
sa satisfaction.
    Pour accepter l’ordonnance d’une
levée exceptionnelle de huit deniers à la livre sur toute vente, ce qui est
lourde imposition pour tous métiers et négoces, ainsi qu’une particulière
gabelle mise sur le sel, les députés se firent tirer l’oreille et émirent de
grosses exigences. Ils voulaient que la recette fût perçue par receveurs
spéciaux choisis par eux ; que l’argent de ces impôts n’aille ni au roi,
ni aux officiers de son service ; que, s’il y avait une autre guerre,
nulle levée d’aides nouvelles ne se fit qu’ils n’en aient délibéré… que sais-je
encore ? Les gens du Tiers étaient fort véhéments. Ils avançaient
l’exemple des communes de Flandre où les bourgeois se gouvernent eux-mêmes, ou
bien du Parlement d’Angleterre qui a barre sur le roi beaucoup plus que les
États en France. « Faisons comme les Anglais, cela leur réussit.
« C’est un travers des Français, lorsqu’ils sont dans la difficulté
politique, de chercher des modèles étrangers plutôt que d’appliquer avec
scrupule et exactitude les lois qui leur sont propres… Ne nous étonnons point
que la nouvelle réunion des États, que le Dauphin a dû avancer, tourne de la
mauvaise façon que je vous contais l’autre jour. Le prévôt Marcel s’est exercé
la gorge déjà l’année dernière… Ce n’était pas à vous ? Ah non, c’était à
dom Calvo, en effet… Je ne l’ai pas fait remonter avec moi depuis ; il est
malade en litière…
    Et le Navarrais, me direz-vous,
pendant ce temps ? Le Navarrais s’attachait à persuader le roi Édouard
qu’il ne l’avait pas joué en acceptant de traiter avec Jean II à Valognes,
qu’il était toujours à son endroit dans les mêmes sentiments, qu’il n’avait
feint de s’accorder au roi de France que pour mieux servir leurs desseins
communs, et que le temps ne tarderait pas qu’il le lui ferait voir. Autrement
dit, qu’il attendait la première occasion de trahir.
    Cependant, il travaillait à affermir
son amitié avec le Dauphin,

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