Quand un roi perd la France
recroître l’amour du père pour le fils, même si le dépit était
dissimulé sous ce fier cadeau. Mais surtout la haine du roi pour son gendre
commençait à être bien recuite et dure comme pâte remise six fois au feu. Tuer
son connétable, fomenter des troubles, débarquer des troupes, prendre langue
avec l’ennemi anglais… et il ne savait pas encore à quel point !… enfin
détourner son fils, c’en était trop ; le roi Jean attendait l’heure
propice à faire payer tout ce débit au Navarrais.
Pour nous, qui observions ces choses
d’Avignon, l’inquiétude grandissait, et nous voyions approcher des
circonstances extrêmes. Des provinces détachées, d’autres ravagées, une monnaie
fuyante, un trésor vide, une dette croissante, des députés grondeurs et
véhéments, de grands vassaux entêtés dans leurs factions, un roi qui n’est plus
servi que par ses conseillers immédiats, et enfin, brochant sur le tout, un
héritier du trône prêt à requérir l’aide étrangère contre sa propre dynastie…
J’ai dit au pape : « Très Saint-Père, la France se fissure. » Je
n’avais point tort. Je me suis seulement trompé sur le temps.
Je donnais deux ans pour que se
produisît l’écroulement. Il n’en a même pas fallu un. Et nous n’avons pas
encore vu le pire. Que voulez-vous ? Quand il n’y a point de fermeté à la
tête, comment pourrait-on attendre qu’il y en ait dans les membres ? À
présent, il nous faut tenter de recoller les morceaux, vaille que vaille, et
pour cela nous voilà en nécessité de recourir aux bons offices de l’Allemagne,
et de donner du coup plus d’autorité à cet Empereur dont nous aurions plutôt
souhaité museler l’arrogance. Avouez qu’il y a de quoi pester !
Allez maintenant, Archambaud,
reprendre votre monture et vous placer en tête du cortège. Je veux que pour entrer
dans Bourges, même si l’heure est tardive, on puisse voir flotter votre pennon
du Périgord à côté de celui du Saint-Siège. Et faites écarter les rideaux de ma
litière, pour les bénédictions.
DEUXIÈME PARTIE
LE BANQUET DE ROUEN
I
DISPENSES ET BÉNÉFICES
Oh ! ce Monseigneur de Bourges
m’a fort échauffé les humeurs, pendant ces trois jours que nous avons passés en
son palais Que voilà donc un prélat qui a l’hospitalité bien encombrante et
bien quémandeuse ! Tout le temps à vous tirer par la robe pour obtenir
quelque chose. Et que de protégés et de clients a cet homme-là, auxquels il a
fait promesses et qu’il vous jette dans les souliers. « Puis-je présenter
à Sa Très Sainte Éminence un clerc de grand mérite… Sa Très Sainte Éminence
voudra-t-elle abaisser son regard bienveillant vers le chanoine de je ne sais
quoi… J’ose recommander aux faveurs de Votre Très Sainte Éminence… » Je me
suis vraiment tenu à quatre, hier soir, pour ne pas lui lâcher « Allez
vous purger, l’évêque, et veuillez… oui, la paix à ma Sainte
Éminence ! »
Je vous ai pris avec moi, ce matin,
Calvo… vous commencez à mieux tolérer, j’espère, le balancement de ma litière,
d’ailleurs je serai bref pour que nous récapitulions bien précisément ce que je
lui ai accordé, et rien de plus. Car il ne va pas manquer, maintenant qu’il est
dans notre route, de vous venir bassiner de prétendus agréments que j’aurais
donnés à toutes ses requêtes. Déjà, il m’a dit « Pour les dispenses
mineures, je n’en veux point fatiguer Votre Très Sainte Éminence, je les
présenterai à messire Francesco Calvo, qui est assurément personne de grand
savoir, ou bien à messire du Bousquet… » Holà ! Je n’ai pas emmené
avec moi un auditeur pontifical, deux docteurs, deux licenciés ès lois et
quatre bacheliers pour relever de leur illégitimité tous les fils de prêtres
qui disent la messe dans ce diocèse, ou y possèdent un bénéfice. C’est
merveille d’ailleurs qu’après toutes les dispenses qu’accorda durant son
pontificat mon saint protecteur, le pape Jean XXII… près de cinq mille,
dont plus de la moitié à des bâtards de curés, et moyennant pénitence d’argent,
bien sûr, ce qui aida fort à restaurer le trésor du Saint-Siège… il se retrouve
aujourd’hui autant de tonsurés qui sont les fruits du péché.
Comme légat du pape, j’ai latitude
de donner dix dispenses au cours de ma mission, pas davantage. J’en accorde
deux à Monseigneur de Bourges ; c’est déjà trop. Pour les offices
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