Quand un roi perd la France
avait été fait en
avril prince d’Aquitaine et lieutenant du roi d’Angleterre en Guyenne, ayant
monté cinq mille hommes de guerre sur ses nefs, s’en venait à pleines voiles vers
Bordeaux. Encore avait-il dû attendre des vents propices. Ah ! l’on peut
dire que son renseignement est bien fait, au roi Jean ! Nous, d’Avignon,
nous voyions s’apprêter ce beau mouvement croisé, sur la mer, afin de prendre
la France en tenailles. Et l’on annonçait même l’imminente arrivée du roi
Édouard lui-même, lequel eût déjà dû être à Jersey, si la tempête ne l’avait
contraint de rebrousser sur Portsmouth. On peut dire que ce fut le vent, et
rien d’autre, qui sauva la France, l’an dernier.
Ne pouvant lutter sur trois fronts,
le roi Jean choisit de n’en tenir aucun. De nouveau, il se porte à Caen, mais
cette fois pour traiter. Il avait avec lui ses deux cousins de Bourbon, Pierre
et Jacques, ainsi que Robert de Lorris, rentré en grâce, comme je vous ai dit.
Mais Charles de Navarre ne vint pas. Il envoya messires de Lor et de
Couillarville, deux seigneurs à lui, pour négocier. Le roi Jean n’eut donc qu’à
s’en repartir, laissant les deux Bourbon qu’il instruisit seulement d’avoir à
se hâter de trouver un accommodement.
L’accord fut conclu à Valognes, le
10 septembre. Charles de Navarre y retrouvait tout ce qui lui avait été reconnu
par le traité de Mantes, et un peu plus.
Et deux semaines après, au Louvre,
nouvelle réconciliation solennelle du beau-père et du gendre, en présence, bien
sûr, des reines veuves, Madame Jeanne et Madame Blanche… « Sire mon
cousin, voici notre neveu et frère que nous vous prions pour l’amour de nous… »
Et l’on s’ouvre les bras, et l’on se baise aux joues avec l’envie de se mordre,
et l’on se jure pardon et loyale amitié…
Ah ! j’oublie une chose qui
n’est point de mince importance. Pour faire escorte d’honneur au roi de
Navarre, Jean II avait dépêché à sa rencontre son fils, le Dauphin
Charles, qu’il avait précédemment nommé son lieutenant général en Normandie. Du
Vaudreuil sur l’Eure, où d’abord ils séjournèrent quatre jours, jusques à
Paris, les deux beaux-frères firent donc route ensemble. C’était la première
fois qu’ils se voyaient si longtemps d’affilée, chevauchant, devisant, musant,
dînant et dormant côte à côte. Monseigneur le Dauphin est tout le contraire du
Navarrais, aussi long que l’autre est bref, aussi lent que l’autre est vif,
aussi retenu de paroles que l’autre est bavard. Avec cela, six ans de moins, et
point de précocité, en rien. De plus le Dauphin est affligé d’une maladie qui
semble bien proprement une infirmité ; sa main droite enfle et devient
toute violacée aussitôt qu’il veut soulever un poids un peu lourd ou serrer
fermement un objet. Il ne peut point porter l’épée. Son père et sa mère l’ont
engendré très tôt, et juste comme ils relevaient l’un et l’autre de
maladie ; le fruit s’en est ressenti.
Mais il ne faut pas conclure de tout
cela, comme le font hâtivement certains, à commencer par le roi Jean lui-même,
que le Dauphin est un sot et qu’il fera un mauvais roi. J’ai bien soigneusement
étudié son ciel… 21 janvier 1338… Le Soleil est encore dans le Capricorne,
juste avant qu’il n’entre dans le Verseau… Les natifs du Capricorne ont le
triomphe tardif, mais ils l’ont, s’ils possèdent les lumières d’esprit. Les
plantes d’hiver sont lentes à se développer… Je suis prêt à gager sur ce
prince-là plus que sur bien d’autres qui offrent meilleure apparence. S’il
traverse les gros dangers qui le menacent dans les présentes années… il vient
déjà d’en surmonter ; mais le pire est devant lui… il saura s’imposer dans
le gouvernement. Mais il faut reconnaître que son extérieur ne prévient guère
en sa faveur…
Ah ! voici le vent à présent
qui pousse l’ondée par rafales. Défaites les pendants de soie qui retiennent
les rideaux, je vous prie, Archambaud. Mieux vaut continuer de bavarder dans
l’ombre que d’être aspergés. Et puis nous entendrons moins ce floc floc des
chevaux qui finit par nous assourdir. Et dites à Brunet, ce soir, qu’il fasse
housser ma litière avec les toiles cirées par-dessus les toiles teintes. C’est
un peu plus lourd pour les chevaux, je sais. On en changera plus souvent…
Oui, je vous disais que j’imagine
fort bien comment
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