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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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était engagé dans l’affaire. Il
cherchait par tous moyens à sauver son beau-frère. Jean II avait demandé à
Jean d’Artois de répéter, pour la gouverne de tous, ce qu’il savait du complot.
Mais « mon cousin Jean » s’était montré moins assuré, devant le
Conseil, que devant le roi seul. Chuchoter de bouche à oreille une délation
vous a un bon air de certitude. Redite à haute voix, pour dix personnes, elle
perd de la force. Après tout, il ne s’agissait que d’on-dit. Un ancien
serviteur avait vu… un autre avait entendu…
    Même si, dans le secret de l’âme, le
duc de Normandie ne pouvait s’empêcher d’accorder crédit aux accusations
portées, les présomptions ne lui semblaient pas assez établies.
    « Pour mon mauvais gendre, nous
en savons assez, ce me semble, dit le roi. – Non, mon père, nous ne savons
guère, répondit le Dauphin.
    « Charles, êtes-vous donc si
obtus ? dit le roi avec colère. N’avez-vous pas entendu que ce méchant
parent sans foi ni aveu, cette bête nuisible, nous voulait saigner bientôt, moi
puis vous ? Car, vous aussi, il voulait vous occire. Croyez-vous qu’après
moi vous eussiez été un grand obstacle aux entreprises de votre bon frère qui
voulait naguère vous tirer en Allemagne, contre moi ? C’est notre place et
notre trône qu’il guigne, rien moins. Ou bien êtes-vous toujours si coiffé de
lui que refusiez de rien comprendre ? »
    Alors le Dauphin qui prenait de
l’assurance et de la détermination : « J’ai fort bien entendu, mon
père ; mais il n’y a preuve ni aveux. – Et quelle preuve voulez-vous,
Charles ? La parole d’un loyal cousin ne vous suffit-elle pas ?
Attendez-vous de gésir, navré dans votre sang et percé comme le fut mon pauvre
Charles d’Espagne, pour fournir la preuve ? »
    Le Dauphin s’obstinait. « Il y
a présomptions très fortes, mon père, je ne le contredis point ; mais pour
l’heure, rien de plus. Présomption n’est pas crime. – Présomption est
crime pour le roi, qui a devoir de se garder, dit Jean II devenu tout
rouge. Vous ne parlez pas en roi, mais comme un clerc d’université rencogné
derrière ses gros livres. »
    Mais le jeune Charles tenait bon.
« Si devoir royal est de se garder, ne nous mettons pas à nous décapiter
entre rois. Charles d’Évreux a été oint et sacré pour la Navarre. Il est votre
beau-fils, félon sans doute, mais votre beau-fils. Qui respectera les personnes
royales si les rois s’envoient l’un l’autre au bourreau ? – Il
n’avait qu’à ne point commencer », cria le roi.
    Alors le maréchal d’Audrehem
intervint, pour fournir son avis. « Sire, en l’occasion, c’est vous, aux
yeux du monde, qui paraîtriez commencer. »
    Un maréchal, Archambaud, de même
qu’un connétable, c’est toujours difficile à manier. Vous l’installez dans une
autorité et puis, tout à coup, il en use pour vous contredire. Audrehem est un
vieil homme de guerre… pas si vieux que cela, au fond ; il a moins d’âge
que moi… mais enfin un homme qui a longtemps obéi en se taisant et vu beaucoup
de sottises se commettre sans pouvoir rien dire. Alors, il se rattrapait.
    « Si encore nous avions pris
tous les renards dans le même piège ! continua-t-il. Mais Philippe de Navarre
est libre, lui, et aussi acharné. Expédiez l’aîné, et le cadet le remplace, qui
soulèvera tout aussi bien son parti, et traitera tout aussi bien avec
l’Anglais, d’autant qu’il est meilleur chevalier et plus ardent à la
bataille. »
    Louis d’Orléans vint alors appuyer
le Dauphin et le maréchal, représentant au roi qu’aussi longtemps qu’il
tiendrait Navarre en prison, il garderait prise sur ses vassaux.
    « Instruisez longuement procès
contre lui, faites éclater sa noirceur, faites-le juger par les pairs du
royaume ; alors nul ne vous reprochera votre sentence. Quand le père de
notre cousin Jean commit tous les actes qu’on sait, le roi notre père ne
procéda pas autrement que par jugement public et solennel. Et quand notre
grand-oncle Philippe le Bel découvrit l’inconduite de ses brus, si rapide
qu’ait été sa justice, elle fut établie sur interrogatoires et prononcée en
grande audience. »
    Tout cela ne fut point du goût du
roi Jean qui s’emporta derechef : « Les beaux exemples, et bien
profitables, que vous me baillez là, mon frère ! Le grand jugement de
Maubuisson a mis le déshonneur et le désordre dans la

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