Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
famille royale. Quant à
Robert d’Artois, pour l’avoir seulement banni, n’en déplaise à notre cousin
Jean, au lieu de le proprement saisir et occire, il nous a ramené la guerre
d’Angleterre. »
    Monseigneur d’Orléans qui n’aime
point trop son aîné et se plaît à lui tenir tête, aurait alors reparti… on m’a
assuré que cela fut dit… « Sire, mon frère, faut-il vous rappeler que
Maubuisson ne nous a pas trop desservis ? Sans Maubuisson où notre
grand-père Valois, que Dieu garde, joua sa part, c’est sans doute notre cousin
de Navarre qui serait au trône en cette heure, au lieu de vous. Quant à la
guerre d’Angleterre, le comte Robert y poussa peut-être, mais il ne lui apporta
qu’une lance, la sienne. Or, la guerre d’Angleterre dure depuis dix-huit ans… »
    Il paraît que le roi fléchit sous
l’estocade. Il se retourna vers le Dauphin qu’il regarda durement en
disant : « C’est vrai, dix-huit ans ; juste votre âge,
Charles », comme s’il lui faisait grief de cette coïncidence.
    Sur quoi Audrehem bougonna :
« Nous aurions plus aisé à bouter l’Anglais hors de chez nous si nous
n’étions pas toujours à nous battre entre Français. »
    Le roi resta muet un moment, l’air
fort courroucé. Il faut être bien sûr de soi pour se maintenir dans une
décision quand nul de ceux qui vous servent ne l’approuve. C’est à cela qu’on
peut juger le caractère des princes. Mais le roi Jean n’est pas
déterminé ; il est buté.
    Nicolas Braque, qui a appris dans les
conseils l’art de profiter des silences, fournit au roi une porte de retraite
en ménageant tout ensemble son orgueil et sa rancune.
    « Sire, n’est-ce point expier
bien vite que de mourir d’un coup ? Voici deux années et plus que
Monseigneur de Navarre vous fait souffrir. Et vous lui accorderiez si courte
punition ? Tenu en geôle, vous pouvez faire en sorte qu’il se sente mourir
tous les jours. En outre, je gage que ses partisans ne laisseront pas de monter
quelque tentative pour le délivrer. Alors vous pourrez capturer ceux-là qui
aujourd’hui ont nargué vos filets. Et vous aurez bon prétexte à abattre votre
justice sur une rébellion si patente… »
    Le roi se rallia à ce conseil,
disant qu’en effet son traître beau-fils méritait d’expier plus longtemps.
« Je diffère son exécution. Puissé-je n’avoir pas à m’en repentir. Mais à
présent qu’on hâte le châtiment des autres. C’est assez de paroles et nous
n’avons perdu que trop de temps. » Il semblait craindre qu’on ne parvînt à
le dessaisir d’une autre tête.
    Audrehem, de la fenêtre, héla de
nouveau le roi des ribauds et lui montra quatre doigts. Et comme il n’était pas
sûr que l’autre eût bien compris, il lui dépêcha un archer pour lui dire qu’il
y avait une charrette de moins.
    « Qu’on se hâte ! répétait
le roi. Faites délivrer ces traîtres. » Délivrer… l’étrange mot qui peut
surprendre ceux qui ne sont pas familiers de cet étrange prince ! C’est sa
formule habituelle, quand il ordonne une exécution. Il ne dit pas :
« Qu’on me délivre de ces traîtres », ce qui ferait sens, mais
« délivrez ces traîtres »… qu’est-ce que cela signifie pour
lui ? Délivrez-les au bourreau ? Délivrez-les de la vie ? Ou
bien est-ce simplement un lapsus dans lequel il s’obstine, parce que dans la
colère sa tête confuse ne contrôle plus ses paroles ?
    Je vous conte tout cela, Archambaud,
comme si j’y avais été. C’est que j’en ai eu le récit fait, en juillet, à peine
trois mois après, quand les mémoires étaient encore fraîches, et par Audrehem,
et par Monseigneur d’Orléans, et par Monseigneur le Dauphin lui-même, et aussi
par Nicolas Braque, chacun, bien sûr, se souvenant surtout de ce qu’il avait
dit lui-même. De la sorte, j’ai reconstitué, assez justement je crois, et dans
le menu, toute cette affaire, et j’en ai écrit au pape, auquel étaient parvenues
des versions plus courtes et un peu différentes. Les détails, en ces sortes de
choses, ont plus d’intérêt qu’on ne pense, parce que cela renseigne sur le
caractère des gens. Lorris et Braque sont tous deux des hommes fort avides
d’argent et déshonnêtes dans leur âpreté à en faire ; mais Lorris est
d’assez médiocre nature, alors que Braque est un politique judicieux…
    Il pleut toujours… Brunet, où
sommes-nous ? Fontenoy… Ah oui, je me rappelle ;

Weitere Kostenlose Bücher