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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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des hérétiques ou des relaps. Car
Jean II a été oint, n’est-ce pas ? Tu es sacerdos in æternam …
Alors il se prend pour Dieu en personne, et décide de la place des âmes après
la mort. De cela aussi, le Saint-Père à mon sens aurait dû lui faire dure
remontrance.
    « Celui-là seulement, l’écuyer… »,
ajoute-t-il en désignant Colin Doublel.
    Allez savoir ce qui se passe dans
cette cervelle trouée comme un fromage ? Pourquoi cette
discrimination ? Pourquoi accorde-t-il la confession à l’écuyer tranchant
qui a levé son couteau contre lui ? Aujourd’hui encore les assistants,
quand ils parlent entre eux de cette heure terrible, s’interrogent sur cette
étrangeté du roi. Voulait-il établir que les degrés dans la faute suivent la
hiérarchie féodale, et signifier que l’écuyer qui a forfait est moins coupable
que le chevalier ? Ou bien était-ce parce que le coutelas brandi vers sa
poitrine lui a fait oublier que Doublel était aussi parmi les assassins de
Charles d’Espagne, comme Mainemares et Graville, Mainemares, un grand efflanqué
qui se démène dans ses liens et promène des yeux furieux, Graville qui ne peut
pas faire le signe de croix, mais, bien ostensiblement, murmure des prières… si
Dieu veut entendre son repentir, il l’entendra bien sans intercesseur.
    Le capucin, qui commençait à se
demander ce qu’il faisait là, se saisit en hâte de l’âme qu’on lui laisse et
chuchote du latin dans l’oreille de Colin Doublel.
    Le roi des ribauds pousse le comte
d’Harcourt devant le billot.
    « Agenouillez-vous,
messire. »
    Le gros homme s’affaisse, comme un
bœuf. Il remue les genoux, sans doute parce qu’il y a des graviers qui le
blessent. Le roi des ribauds, passant derrière lui, bande ses yeux par
surprise, le privant de regarder les nœuds du bois, cette dernière chose du
monde qu’il aura eue devant lui.
    C’était plutôt aux autres qu’on
aurait dû mettre un bandeau, pour leur épargner le spectacle qui allait suivre.
    Le roi des ribauds… c’est curieux
tout de même que je ne retrouve pas son nom ; je l’ai vu à plusieurs
reprises auprès du roi ; et je revois très bien sa mine, un haut et fort
gaillard qui porte une épaisse barbe noire… le roi des ribauds prit la tête du
condamné à deux mains, comme une chose, pour la disposer ainsi qu’il fallait,
et partager les cheveux pour bien dégager la nuque.
    Le comte d’Harcourt continuait de
remuer les genoux à cause des graviers… « Allez, taille ! » fit
le roi des ribauds. Et il vit, et tout le monde vit que le bourreau tremblait.
Il n’en finissait pas de soupeser sa grande hache, de déplacer ses mains sur le
manche, de chercher la bonne distance avec le billot. Il avait peur. Oh !
il aurait été plus assuré avec un poignard, dans un coin d’ombre. Mais une hache,
pour ce malingre, et devant le roi et tous ces seigneurs, et tous ces
soldats ! Après plusieurs mois de prison, il ne devait pas se sentir les
muscles bien solides, même si on lui avait servi une bonne soupe et un gobelet
de vin pour lui donner des forces. Et puis on ne lui avait pas mis de cagoule,
comme cela se fait d’ordinaire, parce qu’on n’en avait pas sous la main. Ainsi
tout le monde saurait désormais qu’il avait été bourreau. Criminel et bourreau.
De quoi faire horreur à n’importe qui. À savoir ce qui lui tournait dans la
tête, à celui-là aussi, à ce Bétrouve qui allait gagner sa liberté en
accomplissant le même acte que celui qui l’avait conduit en prison. Il voyait
la tête qu’il avait à trancher à la place où il aurait dû avoir la sienne, un peu
plus tard, si le roi n’était pas passé par Rouen. Peut-être y avait-il chez ce
gredin plus de charité, plus de sentiment de communion, plus de lien avec son
prochain qu’il n’y en avait chez le roi.
    « Taille ! » dut
répéter le roi des ribauds. Le Bétrouve leva sa hache, non pas droit au-dessus
de lui comme un bourreau, mais de côté, comme un bûcheron qui va abattre un
arbre et il laissa la hache retomber de son propre poids. Elle tomba mal.
    Il y a des bourreaux qui vous
décollent un chef en une fois, d’un seul coup bien frappé. Mais pas celui-là,
ah non ! Le comte d’Harcourt devait être assommé, car il ne bougeait plus
les genoux ; mais il n’était pas mort car la hache s’était amortie dans la
couche de graisse qui lui tapissait la nuque.
    Il fallut recommencer. Encore plus
mal. Cette

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