Quand un roi perd la France
sont infirmes à se
la figurer. L’homme est pareil à un aveugle qui nierait la lumière parce qu’il
ne la voit pas. La lumière est un grand mystère, pour l’aveugle !
Tiens… je pourrai prêcher là-dessus
dimanche, à Sens. Car je devrai prononcer l’homélie. Je suis archidiacre de la
cathédrale. C’est la raison pour laquelle je m’oblige à ce détour. Nous aurions
eu plus court à piquer sur Troyes, mais il me faut inspecter le chapitre de
Sens.
Il n’empêche que j’aurais eu plaisir
à prolonger un peu à Auxerre. Ces deux jours ont passé trop vite…
Saint-Étienne, Saint-Germain, Saint-Eusèbe, toutes ces belles églises où j’ai
célébré messes, mariages et communions… Vous savez qu’Auxerre, Autissidurum ,
est une des plus vieilles cités chrétiennes du royaume, qu’elle était siège
d’évêché deux cents ans avant Clovis, qui d’ailleurs la ravagea presque autant
que l’avait fait Attila, et qu’il s’y tint, avant l’an 600, un concile… Mon
plus grand souci, tout le temps que je passai à la tête de ce diocèse, fut d’y
apurer les dettes laissées par mon prédécesseur, l’évêque Pierre. Et je ne
pouvais rien lui réclamer ; il venait d’être créé cardinal ! Oui,
oui, un bon siège, qui fait antichambre à la curie… Mes divers bénéfices et aussi
la fortune de notre famille m’aidèrent à boucher les trous. Mes successeurs
trouvèrent une situation meilleure. Et celui d’aujourd’hui à présent nous
accompagne. Il est fort bon prélat, ce nouveau Monseigneur d’Auxerre… Mais j’ai
renvoyé Monseigneur de Bourges… à Bourges. Il venait encore me tirer par la
robe pour que je lui accordasse un troisième notaire. Oh ! ce fut tôt
fait. Je lui ai dit : « Monseigneur, s’il vous faut tant de
tabellions, c’est que vos affaires épiscopales sont bien embrouillées. Je vous
engage à retourner tout à l’heure en faire ménage vous-même. Avec ma
bénédiction. » Et nous nous passerons de son office à Metz. L’évêque
d’Auxerre le remplacera avantageusement… J’en ai d’ailleurs averti le Dauphin.
Le chevaucheur que je lui ai dépêché hier devrait être revenu demain, au plus
tard après-demain. Nous aurons donc des nouvelles de Paris avant de quitter
Sens… Il ne cède pas, le Dauphin ; malgré toutes sortes de manœuvres et
pressions qu’on exerce sur lui, il maintient le roi de Navarre en prison…
Ce que firent nos gens de France,
après l’affaire de Rouen ? D’abord, le roi resta sur place quelques jours,
habitant le donjon du Bouvreuil tandis qu’il envoyait son fils loger dans une
autre tour du château et qu’il faisait garder Navarre dans une troisième. Il
estimait avoir diverses affaires à diligenter. En premier lieu, soumettre
Fricamps à la question. « On va fricoter le Friquet. » Cette
amusaille, je crois, fut trouvée par Mitton le Fol. Il n’y eut pas à beaucoup
chauffer les feux, ni à prendre les grandes tenailles. Aussitôt que Perrinet le
Buffle et quatre autres sergents l’eurent entraîné dans une cave et eurent
manié quelques outils devant lui, le gouverneur de Caen fit preuve d’un bon
vouloir extrême. Il parla, parla, parla, retournant son sac pour en secouer
jusqu’à la plus petite miette. Apparemment. Mais comment douter qu’il eût tout
dit quand il claquait si bien des dents et montrait tant de zèle pour la
vérité ?
Et qu’avoua-t-il en fait ? Les
noms des participants au meurtre de Charles d’Espagne ? On les savait
depuis beau temps, et il n’ajouta aucun coupable à ceux qui avaient reçu, après
le traité de Mantes, des lettres de rémission. Mais son récit prit une matinée
entière. Les tractations secrètes, en Flandre et en Avignon, entre Charles de
Navarre et le duc de Lancastre ? Il n’était plus guère de cour, en Europe,
qui les ignorât ; et que lui-même, Fricamps, y eût pris part ajoutait peu
à leur contenu. L’assistance de guerre que les rois d’Angleterre et de Navarre s’étaient
mutuellement promise ? Les gens les moins fins avaient pu s’en aviser,
l’été précédent, en voyant débarquer presque en même temps Charles le Mauvais
en Cotentin et le prince de Galles en Bordelais. Ah ! certes, il y avait
le traité caché par lequel Navarre reconnaissait le roi Édouard pour roi de
France, et dans lequel ils se faisaient partage du royaume ! Fricamps
avoua bien qu’un tel accord avait été préparé, ce qui donnait corps
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