Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
raisons,
pour une erreur de jugement ou de décision dans une circonstance qui leur
semblait sans importance, et où ils suivent la pente de leur nature… Un petit
choix de rien du tout, et c’est la catastrophe.
    Ah ! comme ils voudraient alors
avoir le droit de reprendre leurs actes, remonter en arrière, à la bifurcation
mal prise. Jean d’Harcourt bouscule Robert de Lorris, lui crie :
« Adieu, messire », enfourche son gros cheval, et tout est différent.
Il retrouve son oncle, il retrouve son château, il retrouve sa femme et ses
neuf enfants, et il se flatte, tout le reste de sa vie, d’avoir échappé au
mauvais coup du roi… À moins, à moins, si c’était son jour marqué, qu’en s’en
repartant il ne se soit rompu la tête en se cognant à une branche de la forêt.
Allez donc pénétrer la volonté de Dieu ! Et il ne faut pas oublier tout de
même… ce que cette méchante justice finit par effacer… que d’Harcourt
complotait vraiment contre la couronne. Eh bien, ce n’était pas le jour du roi
Jean, et Dieu réservait à la France d’autres malheurs dont le roi serait
l’instrument.
    Le cortège monta la côte qui mène au
gibet, mais s’arrêta à mi-chemin, sur une Grand-Place bordée de maisons basses
où se tient chaque automne la foire aux chevaux et qu’on appelle le champ du
Pardon. Oui, c’est là son nom. Les hommes d’armes s’alignèrent à droite et à
gauche de la voie qui traversait la place, laissant entre leurs rangs un espace
de trois longueurs de lances.
    Le roi, toujours à cheval, se tenait
bien au milieu de la chaussée, à un jet de caillou du billot que les sergents
avaient roulé hors de la première charrette et pour lequel on cherchait un
endroit plat.
    Le maréchal d’Audrehem mit pied à
terre, et la suite royale, où dominaient les têtes des deux frères d’Artois…
que pouvaient-ils penser, ceux-là ? C’était l’aîné qui portait la
responsabilité première de ces exécutions. Oh ! ils ne pensaient rien…
« Mon cousin Jean, mon cousin Jean »… La suite se rangea en
demi-cercle. On observa Louis d’Harcourt pendant qu’on faisait descendre son
frère ; il ne broncha point.
    Les apprêts n’en finissaient pas, de
cette justice improvisée au milieu d’un champ de foire. Et il y avait des yeux
aux fenêtres tout autour de la place.
    Le dauphin-duc, la tête penchant
sous son chaperon emperlé, piétinait en compagnie de son jeune oncle d’Orléans,
faisait quelques pas, revenait, repartait comme pour chasser un malaise. Et
soudain le gros comte d’Harcourt s’adresse à lui, à lui et à Audrehem, criant
de toutes ses forces :
    « Ah ! sire duc, et vous
gentil maréchal, pour Dieu, faites que je parle au roi, et je saurai bien
m’excuser, et je lui dirai telles choses dont il tirera profit ainsi que son
royaume. »
    Nul qui l’entendit qui ne se
souvienne d’avoir eu l’âme déchirée par l’accent qu’avait sa voix, un cri tout
ensemble d’angoisse dernière et de malédiction.
    Du même mouvement, le duc et le
maréchal viennent au roi, qui l’a pu ouïr aussi bien qu’eux. Ils sont presque à
toucher son cheval. « Sire mon père, pour Dieu, laissez qu’il vous
parle !
    — Oui, Sire, faites qu’il vous
parle, et vous en serez mieux », insiste le maréchal.
    Mais ce Jean II est un
copiste ! En chevalerie, il copie son grand-père, Charles de Valois, ou le
roi Arthur des légendes. Il a appris que Philippe le Bel, quand il avait
ordonné une exécution, restait inflexible. Alors il copie, il croit copier le
Roi de fer. Mais Philippe le Bel ne se mettait pas un heaume quand ce n’était
pas nécessaire. Et il ne condamnait pas à tort et à travers, en fondant sa
justice sur la trouble rumination d’une haine.
    « Faites délivrer ces
traîtres », répète Jean II par sa ventaille ouverte.
    Ah ! Il doit se sentir grand,
il doit se sentir vraiment tout-puissant. Le royaume et les siècles se
souviendront de sa rigueur. Il vient surtout de perdre une belle occasion de
réfléchir.
    « Soit !
confessons-nous », dit alors le comte d’Harcourt en se tournant vers le
capucin sale. Et le roi de crier : « Non, pas de confession pour les
traîtres ! »
    Là, il ne copie plus, il invente. Il
traître le crime de… mais quel crime au fait ? Le crime d’être soupçonné,
le crime d’avoir prononcé de mauvaises paroles qui ont été répétées… disons le
crime de lèse-majesté comme celui

Weitere Kostenlose Bücher