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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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fois, le fer n’entama que le côté du cou. Le sang jaillit par une
large plaie béante qui laissait voir l’épaisseur de la graisse jaune.
    Le Bétrouve luttait avec sa hache
dont le tranchant s’était fiché dans le bois du billot et qu’il ne pouvait plus
en ressortir. La sueur lui coulait sur la figure.
    Le roi des ribauds se tourna vers le
roi avec un air d’excuse, comme s’il voulait dire : « Ce n’est pas ma
faute. »
    Le Bétrouve s’énerve, n’entend pas
ce que les sergents lui disent, refrappe ; et l’on croirait que le fer
tombe dans une motte de beurre. Et encore, et encore ! Le sang ruisselle
du billot, gicle sous le fer, constelle la cotte déchirée du condamné. Des
assistants se détournent, le cœur soulevé. Le Dauphin montre un visage
d’horreur et de colère ; il serre les poings, ce qui lui fait la main
droite toute violette. Louis d’Harcourt, blême, se contraint de rester au
premier rang devant cette boucherie qu’on fait de son frère. Le maréchal
déplace les pieds pour ne pas marcher dans la rigole de sang qui sinue vers
lui.
    Enfin, à la sixième reprise, la
grosse tête du comte d’Harcourt se sépara du tronc, et, entourée de son bandeau
noir, roula au bas du billot.
    Le roi ne bougeait pas. Par sa
fenêtre d’acier, il contemplait, sans donner marque de gêne, d’écœurement ni de
malaise, cette bouillie sanglante entre les épaules énormes, juste en face de
lui, et cette tête isolée, toute souillée, au milieu d’une flaque poisseuse. Si
quelque chose parut sur son visage encadré de métal, ce fut un sourire. Un
archer s’écroula, dans un bruit de ferraille. Seulement alors, le roi consentit
à tourner les yeux. Cette mauviette ne resterait pas longtemps dans sa garde.
Perrinet le Buffle se détendit en soulevant l’archer par le col de son gambison
et en le giflant à toute volée. Mais la mauviette, par sa pâmoison, avait rendu
service. Chacun se reprit un peu ; il y eut même des ricanements.
    Trois hommes, il n’en fallut pas
moins, tirèrent en arrière le corps du décapité. « Au sec, au sec »,
criait le roi des ribauds. Les vêtements lui revenaient de droit, n’oublions
pas. Il suffisait qu’ils fussent déchirés ; si de surcroît ils étaient
trop maculés, il n’en tirerait rien. Déjà, il avait deux condamnés de moins
qu’il n’escomptait…
    Et pour la suite, il exhortait son
bourreau, tout suant et soufflant, lui prodiguait ses conseils comme à un
lutteur épuisé : « Tu montes droit au-dessus de toi, et puis tu ne
regardes pas ta hache, tu regardes où tu dois frapper, à mi-col. Et
han ! » Et de faire mettre de la paille au pied du billot, pour
sécher le sol, et de bander les yeux du sire de Graville, un bon Normand plutôt
replet, de le faire agenouiller, de lui poser le visage dans la bouillie de
viande. « Taille ! » Et là, d’un coup… miracle… Bétrouve lui
tranche le col ; et la tête tombe en avant tandis que le corps s’écroule
de côté, déversant un flot rouge dans la poussière. Et les gens se sentent
comme soulagés. Pour un peu, ils féliciteraient le Bétrouve qui regarde autour
de lui, stupéfait, l’air de se demander comment il a pu réussir.
    Vient le tour du grand déhanché, de
Maubué de Mainemares qui a un regard de défi pour le roi. « Chacun sait,
chacun sait… », s’écrie-t-il. Mais comme le barbu est devant lui et lui
applique le bandeau, sa parole s’étouffe, et nul ne saisit ce qu’il a voulu
proférer.
    Le maréchal d’Audrehem se déplace
encore parce que le sang avance vers ses bottes… « Taille ! » Un
coup de hache, à nouveau, un seul, bien assené. Et cela suffit.
    Le corps de Mainemares est tiré en
arrière, auprès des deux autres. On délie les mains des cadavres pour pouvoir
les prendre plus aisément par les quatre membres, les balancer, et hisse !
les jeter dans la première charrette qui les emmène jusqu’au gibet, pour être
accrochés au charnier. On les dépouillera là-haut. Le roi des ribauds fait
signe de ramasser aussi les têtes.
    Bétrouve cherche son souffle, appuyé
sur le manche de la hache. Il a mal aux reins ; il n’en peut plus. Et
c’est de lui, pour un peu, qu’on aurait pitié. Ah ! il les aura gagnées
ses lettres de rémission ! Si jusqu’à la fin de ses jours il fait de
mauvais rêves et pousse des cris dans son sommeil, il ne lui faudra pas s’en
étonner.
    Colin Doublel, l’écuyer courageux,
était

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