Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
nerveux quoique absous. Il eut un mouvement pour se dégager des mains qui
le poussaient vers le billot ; il voulait y aller seul. Mais le bandeau
est fait justement pour éviter cela, les gestes désordonnés des condamnés.
    On ne put pas empêcher toutefois que
Doublel ne relevât la tête au mauvais moment, et que Bétrouve… là, vraiment, ce
n’était pas sa faute !… ne lui ouvrît le crâne par le travers.
Allons ! encore un coup. Voilà, c’était fait.
    Ah ! ils en auraient des choses
à raconter, les Rouennais qui étaient aux fenêtres environnantes, des choses
qui allaient vite se répéter de bourg en bourg, jusqu’au fond du duché. Et les
gens allaient venir de partout contempler cette place qui avait bu tant de
sang. On ne croirait pas que quatre corps d’hommes puissent en contenir autant
et que cela fasse une si large marque sur le sol.
    Le roi Jean regardait son monde avec
une étrange satisfaction. L’horreur qu’il inspirait en cet instant, même à ses
serviteurs les plus fidèles, n’était pas, semblait-il, pour lui déplaire ;
il était assez fier de soi. Il regardait particulièrement son fils aîné…
« Voilà, mon garçon, comment on se conduit, quand on est roi… »
    Qui aurait osé lui dire qu’il avait
eu tort de céder à sa nature vindicative ? Pour lui aussi, ce jour était
celui de la bifurcation. Le chemin de gauche ou le chemin de droite. Il avait
pris le mauvais, comme le comte d’Harcourt au pied de l’escalier. Après six ans
d’un règne malaisé, plein de troubles, de difficultés et de revers, il donnait
au royaume, qui n’était que trop prêt à l’y suivre, l’exemple de la haine et de
la violence. En moins de six mois, il allait dévaler la route des vrais
malheurs, et la France avec lui.
     

TROISIÈME PARTIE

LE PRINTEMPS PERDU
     

I

LE CHIEN ET LE RENARDEAU
    Ah ! je suis bien aise, bien
aise en vérité, d’avoir revu Auxerre. Je ne pensais pas que Dieu m’accorderait
cette grâce, ni que je la goûterais autant. Revoir les places qui logèrent un
moment de votre jeunesse remue toujours le cœur. Vous connaîtrez ce sentiment,
Archambaud, quand les années se seront accumulées sur vous. S’il vous advient
d’avoir à traverser Auxerre, lorsque vous aurez l’âge que j’ai… que Dieu
veuille vous garder jusque-là… vous direz : « Je fus ici avec mon
oncle le cardinal, qui y avait été évêque, son deuxième diocèse, avant de
recevoir le chapeau… Je l’accompagnais vers Metz, où il allait voir l’Empereur… »
    Trois ans j’ai résidé ici, trois
ans… oh ! n’allez pas croire que j’aie regret de ce temps-là et que
j’éprouvais mieux la faveur de vivre quand j’étais évêque d’Auxerre que je ne
fais aujourd’hui. J’avais même, pour vous avouer le vrai, l’impatience d’en
partir. Je louchais du côté d’Avignon, tout en sachant bien que j’étais trop
jeune ; mais enfin je sentais que Dieu avait mis en moi le caractère et
les ressources d’esprit qui pouvaient lui faire service à la cour pontificale.
Afin de m’instruire à la patience, je poussai plus avant dans la science
d’astrologie ; et c’est justement ma perfection en cette science qui
décida mon bienfaiteur Jean XXII à m’imposer le chapeau, quand je n’avais
que trente ans. Mais cela, je vous l’ai déjà conté… Ah ! mon neveu, avec
un homme qui a beaucoup vécu, il faut s’habituer à entendre plusieurs fois les
mêmes choses. Ce n’est pas que nous ayons la tête plus molle quand nous sommes
vieux ; mais elle est pleine de souvenirs, qui s’éveillent en toutes
sortes de circonstances. La jeunesse emplit le temps à venir
d’imaginations ; la vieillesse refait le temps passé avec sa mémoire. Les
choses sont égales… Non, je n’ai pas de regrets. Lorsque je compare ce que
j’étais et ce que je suis, je n’ai que des raisons de louer le Seigneur, et un
peu de me louer moi-même, en toute modeste honnêteté. Simplement, c’est du
temps qui a coulé de la main de Dieu et qui n’existera plus quand j’aurai cessé
de m’en souvenir. Sauf à la Résurrection, où nous aurons tous nos moments
rassemblés. Mais cela dépasse mon entendement. Je crois à la Résurrection,
j’enseigne à y croire, mais je n’entreprends pas de m’en faire image, et je dis
qu’ils sont bien orgueilleux ceux-là qui mettent en doute la Résurrection… mais
si, mais si, plus de gens que vous ne pensez… parce qu’ils

Weitere Kostenlose Bücher