Quelque chose en nous de Michel Berger
vivait la famille Hamburger avant son éclatement. Le sujet était tabou. Le professeur Hamburger était une grande sommité mondiale, mais il ne leur a plus jamais donné de nouvelles. La fatalité, la malchance redoutable, qui s’est abattue sur cette famille, c’est terrible. Pourtant, ce sont des gens très optimistes, Franka plus que quiconque. »
Pour Annette, pour Bernard, Françoise et Michel,on imagine la stupeur, le traumatisme. Le manque. La sidération. La dévastation. Pour Michel, si jeune, cet abandon est aussi incompréhensible qu’insupportable. Ce deviendra un secret de famille, lourd à supporter, et, désemparé, Michel ne parlera plus que très rarement de son père. La chanteuse et comédienne blonde Vanina Michel, qu’il produira en 1969 et avec laquelle il partagera une aventure amoureuse, en témoigne : « Ce qui est incroyable, c’est que le professeur Hamburger m’avait sauvé la vie quand j’étais petite, sept ou huit ans, suite à une maladie rénale. Ma mère, qui était pédiatre à Strasbourg, a eu le bon réflexe de m’emmener à Paris consulter cet éminent néphrologue. Mais Michel ne voyait jamais son père et n’en parlait pas. » Véronique Sanson est certaine que sa personnalité se décrypte à la lumière de ce traumatisme, comme elle le décrit très justement à Jean-François Brieu dans son Doux dehors, fou dedans (Lattès, 2001). « Cet abandon l’avait, d’une certaine manière, retiré du monde. Il vivait sur sa drôle de planète, il rêvait à autre chose. Il avait, vraiment, une revanche à prendre. Il était à la fois cartésien et lunaire, symbole parfait du baladin moderne, avec jeans et baskets. Il donnait l’impression de flotter dans son histoire et, en même temps, il avait l’intuition de tout. »
Lors d’une émission de France 3 qui lui est consacrée, le 17 juin 1979, Jean Hamburger, sévère, marmoréen, boutonné, impeccablement mis, docte, brillant, à l’éloquence compassée de conférencier d’un autre âge, chaussé de lunettes à monture charpentées, réagit à une question de Paul Giannoli concernant Michel, aussitôt après avoir entendu Michel Bernholc jouant au piano la mélodie de « Les uns contre les autres ». Glacial, distancié, ampoulé, il ne montre aucune émotion, aucune empathie. « Jel’avais interviewé en tant que professeur de médecine, à deux ou trois reprises dans « Europe Soir », se souvient Pierre Lescure. Il me sortait par les yeux tellement il puait de prétention, de contentement de soi. Cette conscience exacerbée de sa haute élévation. En même temps, il était impressionnant. » De son plus jeune fils, Jean Hamburger pontifie ensuite : « C’est un homme heureux. Il donne le sentiment d’avoir atteint sa plénitude, d’avoir de la joie à faire ce qu’il fait. Il était fait pour être compositeur. Je trouve ça assez merveilleux d’avoir parmi ses fils des gens qui font ce qu’on n’a pas fait. À cet égard, ça fait plaisir à leur ascendance. » Michel en sera irrité. Et laconique. « Je suis très agacé qu’on dise de qui je suis le fils. Je crois qu’on se bat toujours un peu contre sa famille. » Jean Hamburger, à son tour, pestera contre ce lien, dans son costume d’académicien, le jour où l’un de ses collègues lui demandera s’il est bien le « père de Michel Berger ».
Ce dernier a beau vouloir conserver ses distances, c’est pourtant à cette période qu’il reprend contact avec ce géniteur abandonnique : son frère Bernard, architecte de la gare d’Évry-Ville-Nouvelle qui a dessiné l’épée d’académicien de leur père, est confiné en fauteuil à Necker, où il décédera le 24 janvier 1982, pendant que France Gall chante au Palais des Sports. Il sera enterré au cimetière de Montmartre, dans une petite tombe discrète, recouverte de cailloux blancs, jumelle de celle qui attend son père. Incroyablement, malgré son silence de près de quarante ans à l’époque, ce dernier en a fait l’acquisition pour que ses deux familles étanches reposent côte à côte. On imagine à quel point cette contradiction a pu interpeller Michel, Franka et leur mère.
Et Michel espérera le secours de ce géniteur singulier lorsqu’il apprend que sa fille Pauline estatteinte de mucoviscidose, condamnée à ne jamais atteindre vingt ans. Leurs relations resteront pourtant froides : les deux hommes se parlent, se rencontrent une dizaine de fois, se serrent la main,
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