Quelque chose en nous de Michel Berger
dans des familles dont le style de vie était figé, et comme cela ne leur convenait pas, ils n’ont pas eu d’autre solution que de le redéfinir. La société possède une énergie négative immense, qu’elle a utilisée pour tenter de nous contenir. Mais elle était devenue totalement impuissante. Face à face, vous aviez la génération précédente, celle de la guerre, épuisée et foutue, et nous autres, qui cherchions à saisir notre chance de tout recommencer. »
À peine adolescent, Michel Berger rêve d’appartenir à cette aventure, de prendre ce train. Mais celui-ci n’a pas de gare dans le huitième arrondissement bourgeois. Et la famille est là, guindée. Les bonnes manières ne se jettent pas aussi facilement par la fenêtre qu’une télévision depuis une chambre de Holiday Inn en Californie. Chez les Haas-Hamburger, on ne montre jamais ses sentiments, on se vouvoie, on porte la cravate même à la maison, on bannit le rouge, trop voyant. Mais élevé dans la culture, au contact des arts et des lettres, dans la confiancequ’ils sont là, disponibles, accessibles, atteignables, depuis longtemps Michel compose des poèmes qu’il offre à sa mère, écrit avec Franka des histoires qu’illustre Bernard, futur architecte de renom, qui tient désormais auprès de lui le rôle capital de père de substitution. Et la musique de salut. Ray Charles, toujours, Jerry Lee Lewis (les pianistes !), mais aussi Buddy Holly et ses Crickets qui préfigurent les Beatles, pour l’excitation, le rythme, la joie de vivre et d’exister. Gershwin aussi pour l’apaisement, et la complexité harmonique, le piano, bien sûr, la Rhapsody in Blue, An American in Paris, Porgy and Bess, les influences croisées de Ravel et Debussy, le dernier lien avec le Groupe des Six, Mozart et les concerts auxquels il assistait chaque dimanche avec Annette, lorsqu’il se rêvait chef d’orchestre en herbe, debout sur une petite chaise de sa chambre. « Le classique m’a laissé des marques, et j’adorais George Gershwin car il avait déjà commencé à faire la relation entre le classique et le jazz. Ne me restait plus qu’à y rajouter la pop music. »
Il se met alors à composer, et à jouer de la musique avec les copains du lycée Carnot, 145, boulevard Malesherbes, où son père l’avait précédé. Jean-Philippe Saint-Geours (prononcer « Sinjour »), aujourd’hui chasseur de têtes réputé après avoir dirigé le budget de la Culture au cabinet de Pierre Mauroy à Matignon et pris la direction de l’Opéra de Paris, réside boulevard Haussmann. Il est alors de tous les week-ends à la Chaumine, maison normande sur la route d’Épernon, et joue de la guitare. Comme Jean Brousse, d’origine corrézienne, qui fait sa connaissance le 6 octobre 1957 sur les bancs de l’école, et ne l’a plus jamais quitté ensuite, devenant l’un de ses deux seuls paroliers avec, plus tard, Luc Plamondon. Brousse versifie àtout va derrière ses lunettes et ses beaux yeux bleus, comme il le fait encore, quoique étant depuis devenu ingénieur en informatique, docteur en économie, directeur de thèse, sociologue, auteur, éditeur et blogueur. Dans Si le bonheur existe (Cherche-Midi, 2002), écrit avec France Gall, il se souvient de leur amitié : « Michel était un lycéen normal, comme les autres ; il sacrifiait, sans enthousiasme, mais sans révolte, à l’exercice. Nous partagions nos espoirs et nos joies sur les chemins qui nous ramenaient à la maison, après la classe… Dinky toys, piano, Ray Charles, Beatles… »
Le trio tombe bientôt sur une petite annonce des disques Pathé Marconi dans France-Soir, alors le quotidien le plus lu du pays : « Peut-être serez-vous l’idole de demain. » Il s’agit en fait d’auditionner dans les studios de Boulogne-Billancourt où enregistreront bientôt les Beatles, comme les Rolling Stones, Pink Floyd, Téléphone et les Stranglers (entre autres), de jeunes talents en cette période qui voit éclore partout en France des centaines de groupes et de chanteurs adolescents plus ou moins compétents inspirés par le rock’n’roll américain. Un jeudi après-midi, ayant pris le bus jusqu’au pont de Sèvres, les voilà au milieu de nombreuses autres formations qui attendent leur tour dans une grande salle, croisant les Chats Sauvages niçois, dont ils rêvent de connaître le destin et le succès fulgurant depuis le printemps 1961 avec « Ma petite amie est vache », « Twist à
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