Qui ose vaincra
stériles, d’ordres
et de contrordres à chaque étape.
À Caen, les blessés sont
enfin transportés à l’hôpital. Le capitaine Bergé va s’y rétablir en moins de
trois semaines.
Né à Auch, il y a juste
trente ans, Georges Bergé est un robuste Gascon, de taille moyenne, aux cheveux
noirs et au regard sombre. Il doit sa puissance et sa vigueur à une jeunesse
rude et brutale, à une famille simple et intransigeante, aux sports les plus
violents qu’il pratique depuis l’enfance.
Le médecin-chef de l’hôpital
de Caen ne partage pas l’optimisme de Bergé lorsque, le 9 juin, le capitaine se
déclare apte à rejoindre son corps et réclame un titre de voyage et de
convalescence. Le capitaine sait néanmoins se montrer suffisamment convaincant
pour quitter l’hôpital dans la soirée, nanti de son autorisation. Il marche, s’aidant
d’une simple canne.
La nuit pour atteindre
Paris, deux jours pour rejoindre Nevers. Le capitaine Bergé se présente à son
corps, au chef de bataillon Dupuis, son supérieur direct. Les Allemands ont poursuivi
leur avance, ils sont aux portes de Paris. Dupuis, officier consciencieux, ne
sait que conseiller à son subordonné qu’il croyait prisonnier : « Allez
embrasser vos parents à Mimizan. Après, vous verrez bien. Je n’ose dire : chacun
pour soi… »
Bergé est décontenancé, il
espérait autre chose. Depuis un mois, il s’était efforcé de chasser l’évidence
de son esprit, il courait après un espoir abstrus. Son but atteint, la base de
son régiment à Nevers, ne lui procurait qu’une permission de convalescence lui
permettant de s’éloigner du front…
Plus accablante encore
devait être son arrivée à la maison familiale de Mimizan. Sec, presque
méprisant, son père devait déclarer :
« Qu’on me donne un
fusil, je vais y aller à ta place… »
Alors Bergé gagne
Bordeaux. Il erre dans les rues à la recherche utopique d’un contact, d’un
conseil, d’une voie à emprunter. Il se rend au consulat britannique, on l’y
reçoit comme un intrus, mais d’un sous-fifre il obtient une information : « Un
second convoi de bateaux polonais va appareiller incessamment de Saint-Jean-de-Luz…
Sur le premier, des soldats français ont embarqué, personne ne connaît au juste
leur destination… »
Des bateaux qui partent !
C’est fuir l’enfer que sera son pays occupé, c’est peut-être une chance de ne
pas subir l’humiliation. Bergé prend le train pour Bayonne.
À Bayonne, un réflexe
militaire le dirige vers la citadelle. Jamais il n’est parvenu dans le bureau d’un
chef d’état-major avec autant de facilité ; il règne un désordre total ;
soldats, sous-officiers et officiers s’occupent à rassembler leurs affaires, à
troquer leurs uniformes pour des vêtements civils. Lorsque Bergé pousse la
porte entrouverte et que, par habitude, il se fige au garde-à-vous, le colonel
a un mouvement de surprise.
« Monsieur ?… »
Bergé réalise qu’il est
en civil.
« Capitaine Bergé, mon
colonel, 13 ème d’infanterie de Nevers. Je suis en permission de
convalescence.
— Eh bien, bonnes
vacances, capitaine !
— Mon colonel, je
venais me mettre à vos ordres.
— Vous m’en voyez
flatté, mais je n’en ai aucun à transmettre. »
Décontenancé, Bergé
bredouille :
« Puis-je au moins
obtenir de vous un conseil ? Une suggestion, mon colonel ?
— À quel sujet ?
— J’ai entendu dire
que des bateaux polonais devaient appareiller de Saint-Jean-de-Luz en direction
de l’Afrique du Nord. Est-il de notre devoir de tenter d’embarquer à leur bord ?
— Capitaine, je me
fous éperdument de vos états d’âme, je me lave les mains de vos crises de
conscience. Ignorant où se trouve le mien, je ne sais absolument pas où est
votre devoir. Faites ce que bon vous semble, et ne cherchez pas à rejeter la
responsabilité de vos actes sur l’autorité que je représente à vos yeux ! En
un mot, démerdez-vous et foutez-moi la paix ! Désolé de n’avoir pas pu
vous aider. » Amèrement, Bergé sourit.
« Détrompez-vous, mon
colonel, vous m’avez aidé, considérablement aidé. »
En sortant de la
citadelle, Bergé jette sa canne ; il considère qu’elle est devenue inutile,
il boite encore légèrement, mais les séquelles de ses blessures ne le
tourmentent plus. Il se dirige vers le labyrinthe de ruelles de la vieille
ville. Avec les quelques milliers de
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