Qui ose vaincra
quatre
kilomètres et c’est le camp d’Aintree. Inquiets les Français remarquent les
sentinelles, les fils de fer barbelés. A peine sortis du camion, les trois
officiers s’éloignent. Quilici prend ses compagnons par le bras.
« Il faut foutre le
camp d’ici et gagner Londres au plus vite, J’ai réussi à téléphoner à une
grande amie, Geneviève Tabouis, c’est une journaliste, elle est au Savoy, elle
nous attend. Un général français a pris la décision de poursuivre le combat. Il
cherche des officiers pour le seconder, il s’appelle de Gaulle.
— Pourquoi ne pas
en parler aux Anglais ?
— Il me semble plus
simple de se procurer une paire de pinces coupantes que de rédiger un rapport à
l’intention des autorités britanniques. »
Aux alentours de 2
heures du matin, Bergé à plat ventre sectionne sans peine la double rangée de
barbelés, ce qui permet aux trois hommes de ramper à l’extérieur du camp. Il a
volé lui-même une paire de pinces dans la caisse à outils d’un camion anglais. Les
officiers français gagnent à pied Liverpool, déambulent dans les rues désertes
jusqu’à l’heure du premier train qui, sans encombre, les conduit à Londres.
À 15 heures ils se
rasent dans les toilettes de la gare Victoria, à 16 heures ils arrivent dans le
hall du Savoy. Geneviève Tabouis les y rejoint. Après les avoir embrassés,
elle leur parle avec passion de l’appel du 18 juin, de l’organisation qui prend
naissance, mais surtout elle évoque de Gaulle, sa personnalité, sa résolution. Bergé
écoute la journaliste avec fièvre. L’image de son nouveau chef se forme dans
son esprit, il éprouve une intense satisfaction, car enfin il réalise qu’il a emprunté
le bon chemin, que son instinct ne l’a pas trompé et que c’est bien d’ici que
le combat doit se poursuivre.
Par téléphone, Geneviève
Tabouis organise un rendez-vous instantanément. De Gaulle recevra les trois
officiers à 18 h 30 à sa résidence de St. Stephen’s House. Ça
leur laisse tout juste une heure devant eux. Quilici et Bensa décident d’arpenter
les rues de Londres, Bergé s’affale dans un fauteuil de l’immense hall et
rassemble ses idées.
C’est pendant cette
heure de méditation solitaire d’un officier épuisé que devait naître l’idée des
parachutistes de la France libre.
2
St. Stephen’s House. Une austère bâtisse au
cœur de Londres. Trois étages, des escaliers recouverts d’un tapis à la couleur
passée, des murs nus, une salle d’attente improvisée sur un palier, des sièges
sans style disposés au hasard, et des portes à travers lesquelles des officiers
français de toutes les armes dansent un ballet soucieux.
Bergé est le dernier à
être reçu. Le bureau du Général est imprégné d’une odeur douce de tabac blond. De
Gaulle est debout, il fume. À ses côtés se tient un chef de bataillon d’infanterie.
Bergé se fige, se présente, excuse sa tenue civile. Le Général l’interrompt d’un
geste :
« C’est bon, mon
vieux. Comme à vos compagnons de route je dis : merci de votre présence et
de votre fidélité. Les Anglais ont mis les bâtiments de l’Olympia à
notre disposition. Vous allez vous y rendre. Nous déciderons de vos
affectations respectives dans les plus brefs délais, je coordonnerai tout ça, je
tenterai d’avoir avec vous le plus de contacts possible. À l’heure actuelle je
résous des problèmes, hélas ! davantage politiques que militaires, mais il
est indispensable que je puisse compter sur vous tous. »
La voix grave, le ton
pesant et définitif du monologue surprennent Bergé. Il est évident que les
paroles du Général n’attendent pas de réplique. Le jeune capitaine s’apprête à
remercier et à sortir. Il a néanmoins marqué une hésitation involontaire et de
Gaulle l’a senti « Vous avez quelque chose à ajouter, capitaine ?
— Mon général, je
voulais porter à votre connaissance que je suis l’un des rares officiers
français à avoir suivi les stages d’entraînement parachutiste d’Avignon-Pujaut.
J’ai, en outre, étudié attentivement les méthodes soviétiques et allemandes se
rapportant à leurs unités spécialisées. Dans le cas où vous envisageriez la
création d’un corps similaire, j’aimerais avoir l’honneur d’en faire partie. »
De Gaulle s’assied et
désigne un siège à Bergé qu’il semble seulement découvrir. Il
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