Remède pour un charlatan
bien… hésita Esther. Pas depuis qu’il a pris des friandises dans un placard fermé à clef, quand il avait huit ans.
— Qu’est-ce qui se passe avec Aaron ? demanda Judith, qui venait de repenser au chaos dans lequel sa propre maison était plongée.
— Pour moi, c’est la fille du vieux Mordecai.
— Dalia ? fit Judith.
Âgé de seize ans, timide et gauche, Aaron ne faisait pas un prétendant convenable pour la fille du riche marchand.
— Dalia. C’est à cause d’elle qu’il gaspille. Je le sais. Seulement il est trop couard, il se met à rougir et fiche le camp quand elle apparaît.
Le rythme du travail de la pâte s’intensifiait.
— C’est une petite futée, vous savez. Elle le tourmente et l’aguiche chaque fois qu’elle le voit. Mais Mordecai est un homme riche. Sa cave est pleine de l’or qu’il a gagné dans le commerce des bottes avant de se tourner vers d’autres activités. Les prix, il les fait comme il veut. Ce n’est pas comme nous, qui ne pouvons demander plus que telle somme pour une miche de pain, et il faut encore payer le grain et le bois pour le feu et la taxe. Toujours la taxe. Comment une famille peut-elle s’en sortir ? À moins de réussir un bon mariage. Mais chaque fois que je lui propose d’arranger une union, il devient fou furieux. Je ne sais que décider, maîtresse. L’autre jour, dit-elle sur le ton de la confidence, il m’a avoué qu’il ne voulait pas être boulanger. Il veut être un lettré, un clerc. Mossé est tout retourné.
— Un maître d’école ? Ou un rabbin ? s’étonna Judith. Aaron ?
— Non, dit sa mère en s’arrêtant brusquement de travailler la pâte. Même pas cela. Autre chose. Il est infatigable et ne dort pas, il déambule à toute heure de la nuit. Ce doit être l’amour, fit-elle, gênée. Qu’est-ce que ce pourrait être d’autre ? Il est tout le temps si las qu’il ne peut même pas soulever un sac de farine, mais au lieu de se reposer quand il le peut, il disparaît tous les soirs – Dieu sait pour aller où. Pensez-vous que maître Isaac pourra le guérir ?
— D’une maladie d’amour ? dit Judith. Je crois bien que même mon mari en serait incapable.
Ce soir-là, quinze ou vingt personnes étaient rassemblées dans le pré, de l’autre côté de la rivière Onyar, pour écouter le lettré de la taverne. Il parlait depuis plus d’un quart d’heure, et la majeure partie de son auditoire le regardait avec apathie, sans rien comprendre, comme des vaches qui voient passer un promeneur. Mais cela tuait le temps jusqu’à ce que quelque chose de plus passionnant se produise. Ils étaient toutefois quelques-uns à l’observer avec curiosité et, au premier rang, un groupe de trois jeunes gens montrait beaucoup d’intérêt. Aux abords de cette réunion, un petit garçon s’ennuyait et ne tenait pas en place. Il ramassa une pierre, leva le bras et se prépara à la jeter. Mais le compagnon de l’orateur, vêtu d’une pauvre tunique élimée et rapiécée – un homme aux cheveux gris mal coiffés et au visage balafré –, saisit l’enfant par le poignet et le lui serra.
— Aïe ! couina le petit garçon. Vous me faites mal.
— Tant mieux, dit l’homme. Et rappelle-toi bien : la prochaine fois, ce ne sera pas seulement ton poignet. Maintenant, file !
L’enfant s’enfuit vers les hautes herbes qui poussaient à la lisière du pré. Il disparut dans les tiges sèches et les épis duveteux aussi hauts qu’un homme de belle taille.
— Mes amis, dit l’orateur en ignorant l’incident, ces quelques choses que moi-même, maître Guillem de Montpellier, vous ai livrées ne sont qu’une petite portion du savoir des anciens, la sagesse cachée des Mages que j’ai apprise à l’université de Montpellier et auprès de divers astrologues, voyants et mystiques qu’il m’a été donné de rencontrer lors de mes voyages de par le monde. En prononçant les mots que je vous enseignerai, des paroles nullement empreintes de sorcellerie ou d’hérésie, et en utilisant les herbes dont je vous parlerai, vous pourrez rendre santé et vigueur au corps, affermir l’esprit et acquérir la sagesse qui permettra de comprendre les choses qui vous sont aujourd’hui cachées. Ils vous apporteront santé, sagesse et prospérité.
— Qu’en est-il de la grâce ? demanda l’un des trois jeunes gens, vêtu lui aussi comme un clerc.
— Pour cela, vous devez aller à l’église,
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