Remède pour un charlatan
part quitter la ville ?
— Créer de belles choses, dit Marc en toute simplicité. J’y parviens au métier à tisser, mais mon père dit que c’est gaspiller son temps et de la bonne laine. Comme s’il en utilisait, d’ailleurs…, ajouta-t-il.
Une atmosphère de morosité s’abattit sur les trois jeunes gens.
— Que fait-on pour maître Guillem ? demanda Aaron.
— Il nous faut trente sous pour une séance, dit Lorens.
— Ce pourrait tout aussi bien être trente mille, maugréa Marc. J’ai assez pour mon vin de demain, et c’est tout.
— J’en ai cinq, dit Lorens. J’ignore si je pourrai en tirer un peu plus de mon père. Il n’est pas très content de moi. Mais je vais essayer.
— Je peux payer pour nous tous, dit Aaron. Allons-y.
— Vraiment ? s’étonna Marc. Cela fait beaucoup d’argent.
— Quel argent, Marc, mon vieil ami ?
Un autre jeune homme en noir s’assit à la table et fit signe à quelques camarades de se joindre à eux.
— C’est une chose bien rare dans ma vie, je peux vous le dire, reprit-il. Et cet escroc dans son pré n’avait pas beaucoup de chance de m’arracher l’argent de ma boisson.
— Bonsoir, Bertran. Pourquoi dis-tu que c’est un escroc ? demanda Lorens.
— Tu ne l’as donc pas écouté, Lorens, mon ami ? Jamais de ma vie je n’ai entendu autant de demi-vérités et de logique aussi tordue.
— Qu’y connais-tu en logique ? s’emporta Lorens. Et si tu avais assisté à ses deux premières causeries, tu saurais quels sont ses arguments.
— Je sais que quand quelqu’un m’offre de m’enseigner les secrets des Mages, des Sept Sages et de Dieu sait qui d’autre en trois leçons simples mais coûteuses, je me fais tondre comme brebis au printemps.
— Tu nous as écoutés ! accusa Aaron.
— On ne peut pas avoir de conversation particulière au milieu d’un pré, dit Bertran. De toute façon, le savoir est une chose que l’on acquiert par le rude labeur et auprès de bons maîtres.
— Dis-moi, Bertran, quel est l’auteur de ce sermon ?
Chacun rit autour de la table.
— Mon père, fit-il en rougissant. Mais il n’empêche que c’est vrai. Et que fait ce sage à loger chez Marieta ?
— Vous voulez aller chez Marieta apprendre la sagesse ? intervint à la table voisine un fermier au visage tanné qui éclata aussitôt de rire. Avec elle, vous allez en connaître de belles !
— Il s’y passe de drôles de choses ces temps-ci, dit un autre personnage. J’ai entendu des histoires que vous ne croiriez même pas.
— On a eu assez d’ennuis pour cette année, reprit le fermier. Quant aux secrets des Mages, si vous voulez bien m’excuser de vous avoir écoutés, tout cela ne présage rien de bon. Si j’étais vous, je ne m’occuperais pas de ça. Pas maintenant, en tout cas. Et que les Mages gardent leurs secrets pour eux.
Vers la fin du mois de septembre, Isaac le médecin fut réveillé un jeudi matin par les cris de sa femme qui reprochait à Ibrahim de faire du bruit quand il savait que son maître donnait encore. L’appel paniqué de l’épouse du jeune Astruch l’avait tiré du lit peu après minuit et l’avait tenu au-dehors jusqu’à ce que la fatigue et le froid qui se manifeste juste avant l’aube n’engourdissent ses doigts. Il avait terminé sa nuit sur la couche de son cabinet. Judith voulait le tirer du lit, mais cette pièce était sacrée, et seule une raison importante pouvait l’autoriser à y entrer.
La cour était redevenue tranquille. Il s’arracha à son lit, ouvrit la porte et huma l’air. En dépit de la nuit perpétuelle dans laquelle il vivait, Isaac sut que le soleil brillait derrière les brumes matinales et que la fraîcheur de la matinée céderait la place à une nouvelle journée torride. Avant quiconque, il pouvait sentir la brume, la chaleur naissante, la toute-puissance du soleil. Il venait de commencer de se laver de pied en cap à l’eau froide quand il entendit craquer le portail : Judith était revenue dans la cour et s’en prenait à présent au jeune Salomó, le fils du banquier Vidal.
Il avait engagé Salomó des Mestre pour trois mois afin de donner des cours à son apprenti de treize ans, Yusuf. Il avait rencontré le jeune Maure au début de l’été : l’orphelin affamé avait arraché le médecin aveugle des mains d’une bande d’émeutiers. Le père de Yusuf avait été l’émissaire de l’émir Abu Hajjij Yusuf de
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