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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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document où tout le drame actuel
tient en raccourci. Ce sont des notes rédigées par Kamenev pour Zinoviev, en 1928, relatant des entretiens avec Boukharine. Ces
notes furent à l’époque publiées à Moscou par l’opposition [212] puis reproduites
à Paris dans
Contre le Courant
[213] . Elles provoquèrent
une tempête au Bureau politique ; la rupture entre Staline et Boukharine
devait aller depuis en s’aggravant. – Boukharine, « les lèvres tremblantes,
pareil à un homme aux abois » s’était exprimé ainsi :
    « Notre situation n’est-elle pas tragique ? Si le
pays périt, nous (le parti) périssons aussi. Si le pays s’en tire, Staline
manœuvre à temps, nous périssons encore. Que faire ? Que faire devant ce
Gengis Khan, bas produit du Comité Central ?
    » Si nous ouvrons le débat, on nous étranglera pour l’avoir
fait. Le Comité Central craint la discussion.
    » Nous devrions crier : Voilà l’homme qui a amené le
pays à la famine et aux abîmes ! Et il répondrait : Voilà les
défenseurs des paysans riches et des profiteurs de la NEP !
    » Staline ne connaît que la vengeance. Il poignarde dans le
dos. Souvenons-nous de sa théorie de la douce vengeance.
    » Sa politique mène à la guerre civile. Il faudra qu’il noie
les soulèvements dans le sang.
    »… Iagoda et Trilisser sont avec
nous. Vorochilov et Kalinine nous ont trahis au dernier
moment. Staline les tient. Notre tâche est d’amener le Comité Central à l’écarter… »
    Boukharine recommande, pour finir, à Kamenev :
    « Nul ne doit rien savoir de notre entretien. Ne me
téléphone pas, mes conversations téléphoniques sont surveillées. Le Guépéou
observe, toi et moi, à toute heure… »
    Et c’est sur ces derniers mots que je voudrais m’arrêter
aujourd’hui. On a parlé au procès de Moscou de complots plus impossibles encore
qu’invraisemblables. Que des hommes qui, après avoir donné toute leur vie, toute
leur âme à l’action révolutionnaire pour le socialisme, aient voulu restaurer
le capitalisme, ce triste non-sens ne trompera que ceux qui ignorent tout de la
révolution russe. Au demeurant, il n’est que le résultat d’un truquage purement
verbal que j’analyserai un autre jour. La fausseté des aveux se démontre sans
effort toutes les fois que les victimes, obéissant aux directives du bourreau, invoquent
des faits qui se seraient passés à l’étranger. Le dévouement aveugle des
accusés qui mentent en service commandé, se déshonorant ainsi avant d’aller à
une mort certaine, atteste enfin chez eux un si grand attachement à la cause
soviétique que toute idée de trahison en est, paradoxalement mais irréfragablement
écartée. Des hommes qui enjambent ainsi leurs propres cadavres, parce que le
pays c’est tout de même le pays, le socialisme en marche, la révolution, – même
si le tyran les foule aux pieds et les supplicie, – restent grands même quand
on leur impose de se rouler dans la boue. Mais il est une autre considération
capitale qui oblige à écarter à peu près complètement toute idée de complot en URSS :
le développement prodigieux de l’appareil policier qui broie et détruit sans
à-coup, depuis dix ans, le parti bolchevik (après avoir détruit tous les autres :
et l’on voit aujourd’hui combien ce fut là, de la part des révolutionnaires de
1917-1919, une faute grave). Au cours des dix dernières années, les Rykov, les
Boukharine, – pour ne point parler de Racovski qui passa six années en
déportation – ont vécu, comme tous les hauts fonctionnaires et les militants
qualifiés de l’URSS sous une surveillance de tous les instants. Ils n’ont pas
eu une conversation téléphonique qui n’ait été enregistrée, un rendez-vous qui
n’ait été connu, une correspondance qui n’ait été lue et recopiée. Toutes leurs
attaches étaient soumises à la même surveillance ; ils vivaient littéralement
sous une cloche de verre, ne se rencontrant qu’entre eux, n’osant se parler que
dans l’intimité, entre compagnons de lutte liés par un long passé… J’ai vécu
dans la même atmosphère qu’eux, de 1925 à 1936 ; je les ai rencontrés en
ces années sans issue. Trois indicateurs, connus de moi, m’épiaient dans l’appartement
où j’habitais avec douze familles. (Il y avait treize chambres occupées par
treize familles ; c’était à Leningrad). Un quatrième me visitait à titre
amical. Peut-être y en

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