Retour à l'Ouest
préparations à
la guerre, un premier uniforme ; on met entre ses mains un jouet simulant
une arme, on l’enrégimente dans un bataillon de moins de huit ans… Il n’y a pas
que la marche au pas, dès cet âge, il y a aussi la mise au pas de la pensée, les
portraits du Chef bien-aimé, la règle d’admiration et d’abdication, la règle de
haine contre l’ennemi. L’ennemi qui n’a plus visage humain, qui trame notre
perte, qui est vil, lâche, méprisable, inférieur en toutes choses… Comment l’enfant
en douterait-il puisque tous ceux qu’il respecte le lui enseignent ? Puisque
cette affirmation imagée complète partout l’éloge orgueilleux de sa Race, de sa
Patrie, de son Chef ?
L’esprit critique est pourtant inhérent à toute intelligence ;
l’expérience l’alimente et le stimule, quoi qu’on fasse, et tout ceci repose
sur tant d’oppression, de mensonge, de violence faite à l’humain, que le plus
habile dressage doit être un jour emporté comme poussière au vent. Et le soldat,
ce jour-là, cessera d’obéir, la guerre sera finie, comme finie avec la guerre
la société qui la fait. Mais nul ne l’ignore et les précautions sont prises. Tout
l’art consiste à mettre les combattants entre deux dangers, le plus certain
étant derrière eux. Le code militaire ne connaît à vrai dire qu’une sanction :
la peine capitale. Sur les champs de bataille la fuite en avant est la plus
raisonnable des deux, car elle offre le plus de chances de salut.
De si pesantes chaînes et menant à de si profondes fosses, chacun
les porte malgré soi, sans doute, mais on ne saurait les forger sans un vaste
assentiment collectif. Elles reposent sur des psychoses qui mobilisent les
instincts primordiaux – l’instinct de conservation d’abord – des grandes
collectivités. La psychose de guerre modifie le sens même de la réalité, tire
du sentiment légitime du péril une peur panique, l’organise en idées-forces, l’habille
de slogans, retourne le courage en violence et le dévouement en cruauté.
Quels intérêts réels nouent la tragédie ? Il est simple
de fusiller les esprits qu’un immense effort, possible en de rares
circonstances, maintient lucides. Les autres ne sauront même pas s’interroger, tant
que le cours naturel des choses ne les y obligera inexorablement. Car tout ceci,
encore que ce soit une prodigieuse réussite sur le plan de l’exploitation des
masses par les minorités privilégiées, ne saurait avoir qu’un temps. Tout ceci
attente par trop à la loi naturelle, qui est aussi loi sociale et loi morale. L’instinct
de conservation, trompé, reprendra le dessus. Les stocks de mazout s’épuiseront.
Les cadres des armées seront dévorés. Les mythes s’évanouiront dans la fumée
des incendies et les vapeurs du sang. D’autres instincts et d’autres intérêts, plus
essentiels que ceux des riches, prendront le dessus, parmi les peuples
débilités. On verra qu’au temps de la solidarité nécessaire toute grande guerre
tient du suicide. Ce sera en tout cas le suicide des régimes qui la font, le
saut dans l’inconnu, le commencement d’un crépuscule où le grand vaincu – l’homme
des masses qui ne veut pas la guerre – aura nécessairement le dernier mot, un
terrible dernier mot…
Juin 36
11-12 juin 1938
Deux événements dominent de haut l’histoire des dernières
années ; et c’est sans doute pour longtemps. Ils signifient que la société
occidentale, telle qu’elle s’était stabilisée après les convulsions du
lendemain de la guerre, est entrée dans une phase de transformation. Ce sont :
les grandes grèves de juin 1936 et la guerre des deux Espagne. Ces événements
se tiennent de très près. La victoire des masses populaires, en France, coïncidant
avec celle des masses populaires en Espagne semblait ouvrir, vers le milieu de
1936, à tout l’Occident, la voie des grandes réformes révolutionnaires. Elle
contrebalançait les conséquences de la victoire hitlérienne en Allemagne ;
elle marquait la fin de l’avance fasciste dans la bataille internationale des
classes. Elle conférait au prolétariat une puissance politique de premier ordre.
Et c’est probablement pourquoi les deux régimes totalitaires au service du
grand capital estimèrent l’heure venue de réagir. Un an encore et il serait
trop tard et, par contrecoup, les fascismes se sentiraient menacés chez eux, à
l’intérieur, par l’exemple des démocraties
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