Retour à l'Ouest
occidentale, et Kosior qui dirigea pendant de longues années le parti communiste d’Ukraine. (Son successeur
à ce poste éminent, Postychev , a disparu lui aussi…) Les
coupes sombres se propagent, on le voit, parmi les chefs mêmes du régime qui
ont contribué à l’organisation des procès de 1936-1938.
La police politique – le Guépéou, Service de la Sûreté près
le Commissariat du Peuple à l’Intérieur, – subit une nouvelle et terrifiante
épuration, la deuxième ou troisième en deux ans. Déjà la plupart des
collaborateurs de l’ancien ministre de la police, Iagoda, fusillé au début de
cette année, n’étaient plus ; maintenant leurs successeurs les suivent, arrêtés
et vraisemblablement exécutés par fournées entières. Des dépêches du
correspondant de l’agence Havas à Moscou, censurées au départ et devenues ainsi
quasi-officielles, nous apprennent l’arrestation du sous-commissaire du peuple
à l’Intérieur du gouvernement central, Zakovski, nommé en novembre dernier ;
des commissaires du peuple de l’Intérieur (gouvernements locaux, fédérés) de
Russie blanche, Ukraine, Turkmenistan, Kazakhstan, Carélie, Ossétie ; et
des chefs de la police de l’Altaï, de Krasnoyarsk, Kalinine (Fver), Koybichev (Saratov),
Koursk, Novosibirsk, Orel, Omsk, Orenbourg, Tchéliabinsk, Stalingrad, Irkoutsk,
Sverdlosk. Des vingt hauts fonctionnaires de la Sûreté décorés en novembre 1935,
trois seulement sont encore en fonctions, huit ont été dénoncés comme « ennemis
du peuple », un a été fusillé après jugement public, six ont disparu sans
que l’on sache comment, un, le chef du service de l’étranger, mêlé à l’affaire
Reiss, serait mort de mort naturelle…
Les milieux intellectuels ne sont pas plus épargnés que par
le passé. Nous avons appris la disparition du professeur Samoïlovitch, explorateur
des régions polaires, que l’on croit arrêté au retour d’une expédition où il avait
failli périr ; du vieux sinologue Alexéev, du poète Boris Pasternak dont
la place et l’œuvre dans les lettres russes se peuvent comparer à celles de
Paul Valéry dans les lettres françaises… Boubnov, vieux bolchevik et combattant
de la révolution, qui succéda à Lounatcharski à la tête de l’Instructions
publique, écarté du gouvernement l’année passée, est traité de « saboteur »
par la presse officielle. C’est dire qu’il couche en prison et que son compte
est bon.
Selon l’usage, les familles, l’entourage, les collaborateurs
des dirigeants ainsi éliminés partagent, à divers degrés, leur sort. Une poigne
implacable, obéissant à des mobiles que nous ignorons – et qui n’est peut-être
pas entièrement maîtresse d’elle-même – achève de renouveler du haut en bas de
l’échelle sociale les cadres du régime – et de détruire, tout entières, les
générations qui ont gouverné l’URSS de 1917 à 1938.
Autriche, grand cimetière de l’Europe
25-26 juin 1938
Après le témoignage de Georges Bernanos sur l’Espagne
nationaliste, nous avons eu, dans les colonnes du
Petit Parisien
[236] ,
celui d’André Salmon sur l’Autriche incorporée au III e Reich – l’Autriche conquise, l’Autriche finie [237] … Lequel est le
plus grave ? Je ne sais vraiment. La quantité de sang versé en Espagne
nous fait, d’emblée, respirer une lourde atmosphère de massacre. Avec moins de
sang, la somme de souffrances et d’humiliations infligées aux hommes en
Autriche nous impose, tout de suite, le sentiment d’une éclipse de la
civilisation. Le massacre est atroce ; la barbarie, même sans le massacre,
dégradante. L’homme moderne trébuche et tombe, ilote ivre, ici, dans une flaque
rouge. Caïn sur le cadavre d’Abel, là, dans la poussière et la boue, sous les
fils de fer des camps de concentration.
Salmon, qui fut un bon poète et n’est plus qu’un journaliste
réactionnaire, relate ce qu’il a vu et appris à Vienne. L’épidémie de suicides
qui suivit l’Anschluss fut, en réalité, dans une large mesure, une longue suite
d’assassinats. Suicider est un verbe actif. Le major Fey, ex-vice-chancelier, l’un
des hommes qui mitraillèrent, en 1934, la classe ouvrière pour instituer un
régime fasciste, fut tué chez lui d’une balle dans la tête. Ses assassins
mirent ensuite un revolver dans la main de sa femme : elle abattit d’abord
son fils, puis tourna l’arme contre elle-même… Un gros commerçant
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